février 2015

Actualités, Contrat, Informatique

Caducité de la location financière dans les contrats interdépendants

La Cour de cassation, par arrêt du 4 novembre 2014, apporte une précision importante concernant la notion de caducité dans les contrats interdépendants. En l’espèce, un pharmacien a commandé, en octobre 2005, une animation publicitaire comprenant la fourniture du matériel nécessaire à la mise en œuvre de cette animation et d’un CD-Rom contenant les messages mensuels permettant sa diffusion. Cette opération a nécessité la souscription d’un contrat de location financière auprès d’une société de financement pour une durée de 5 ans. Au motif qu’il ne recevait plus les CD-Rom mensuels du fait de la procédure de liquidation judiciaire dont a fait l’objet le fournisseur, il cesse d’acquitter les loyers prévus dans le contrat de location financière. C’est pourquoi, la société de financement l’assigne en paiement des mensualités restant dues. En réponse à cette assignation, le pharmacien lui oppose la caducité du contrat de location financière en raison de l’inexécution, par le fournisseur, de ses obligations contractuelles. Saisie de ce litige, la Cour d’appel de Paris condamne le pharmacien à verser à la société de financement les mensualités restant dues au titre du contrat de location financière et ordonné la restitution du matériel pris à bail (1). Estimant, notamment, que dans le cadre de contrats interdépendants, l’impossibilité d’exécution de l’un des contrats entraîne de facto, à défaut de résolution judiciaire, à tout le moins la caducité de l’autre, le pharmacien a formé un pourvoi au visa de l’article 1108 du Code civil. La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que lorsque les contrats incluant une location financière sont interdépendants, l’anéantissement du contrat principal est un préalable nécessaire à la caducité du contrat de location (2). Dans cet arrêt, la Cour de cassation impose une hiérarchie entre les contrats faisant partie d’une seule et même opération économique. Le contrat de prestations serait le contrat principal sans lequel le contrat de location financière, considéré comme accessoire, ne pourrait subsister. Autrement dit, l’anéantissement du contrat principal de prestations justifie, a lui seul, la caducité du contrat de location financière, celui-ci se retrouvant alors dépourvu de cause. Ce principe n’est pas nouveau et a été affirmé et rappelé de nombreuses fois par la cour de cassation. Ce qui est nouveau, c’est la subtilité apportée par la Cour de cassation concernant la notion d’anéantissement du contrat principal, conséquence de la résolution/résiliation de celui-ci. En l’espèce, le contrat de prestations n’avait pas été résilié mais simplement inexécuté. Faute d’anéantissement de ce dernier, il ne pouvait entraîner la caducité du contrat de location financière. La caducité du contrat accessoire ne peut donc rétroagir au fait générateur de l’anéantissement du contrat principal dans la mesure où l’anéantissement de celui-ci doit être un préalable à la caducité. Dès lors, l’inexécution de ses obligations par le débiteur du contrat principal de prestations ne justifie pas l’arrêt du paiement de loyers issu du contrat de location financière. Benoit de Roquefeuil Alexandra Massaux Lexing Contentieux informatique (1) CA Paris 21-6-2013. (2) Cass. com., 4-11-2014 n°13-24270

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Procédure civile : l’apport du décret du 26 décembre 2014

Publié au Journal Officiel du 28 décembre 2014, le décret n°2014-1633 du 26 décembre 2014 vient modifier le décret n°2010-434 du 29 avril 2010, relatif à la communication électronique en matière de procédure civile, afin d’en proroger les effets et d’en porter adaptation au droit de l’Union européenne, suite à l’entrée en vigueur de deux nouveaux règlements. Le décret du 29 avril 2010 avait pour objet l’institution d’une règle simple : l’identification, réalisée lors des transmissions par voie électronique, de tout auxiliaire de justice (magistrats, greffiers, huissiers de justice, avocats), ainsi que du Ministère public, vaut signature électronique. Ce décret était, néanmoins, uniquement applicable jusqu’au 31 décembre 2014. La règle ayant manifestement fait ses preuves, le nouveau décret du 26 décembre 2014 vient donc en prolonger l’effectivité, reportant son extinction au 31 décembre 2018 (1). Ce nouveau décret ne se limite pas, en outre, à une simple réaffirmation de la règle. Il vient, en effet, tirer les conséquences procédurales de l’entrée en vigueur de deux règlements de l’Union européenne intéressant la procédure civile, soit : le Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, entré en vigueur le 10 janvier 2015 (lequel n’est autre que la refonte du Règlement Bruxelles I) (2) ; et le Règlement (UE) n°606/2013 du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013 relatif à la reconnaissance mutuelle des mesures de protection en matière civile, entré en vigueur le 11 janvier 2015. S’agissant de l’application en droit français de la nouvelle version du Règlement Bruxelles I, le décret du 26 décembre 2014 opère plusieurs changements terminologiques au sein du Code de procédure civile et fait disparaître la condition d’exequatur pour l’exécution des décisions civiles et commerciales visées par ledit Règlement (3). Les articles ainsi modifiés sont applicables aux actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou enregistrés formellement et aux transactions judiciaires approuvées ou conclues à compter du 10 janvier 2015 (4). Conclus avant cette date, ces mêmes actes demeurent soumis au régime institué par l’ancienne version du Règlement Bruxelles I. Quant à l’application en droit français du second Règlement, le décret du 26 décembre 2014 introduit dans le Code de procédure civile un nouvel article 509-8, en matière de reconnaissance transfrontalière, aux termes duquel « les demandes de reconnaissance mutuelle des mesures de protection sont faites devant le Président du tribunal de grande instance ou son délégué statuant en la forme des référés ». Cette nouvelle disposition est applicable aux mesures de protection ordonnées à compter du 11 janvier 2015, quelle que soit la date à laquelle la procédure a été engagée (5). Bien qu’il soit fort court, le décret du 26 décembre 2014 a donc un impact considérable sur notre procédure civile et ne doit pas passer inaperçu. Virginie Bensoussan-Brulé Annabelle Divoy Lexing Droit pénal numérique (1) Décr. n°2014-1633 du 26-12-2014, art. 1. (2) Règlement (CE) n°44/2001 du 22-12-2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. (3) Décr. n°2014-1633 du 26-12-2014, art. 2 et 4. (4) Décr. n°2014-1633 du 26-12-2014, art. 3. (5) Décr. n°2014-1633 du 26-12-2014, art. 2, précité.

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Audit de licences Oracle et action en contrefaçon

Le TGI de Paris a rendu sa réponse concernant le conflit qui opposait l’AFPA à la société Oracle sur l’audit de licences lancé par l’éditeur : l’utilisation d’un logiciel hors du périmètre des droits cédés ne peut faire l’objet d’une action en contrefaçon, mais seulement d’une action en responsabilité contractuelle. En 2002, l’AFPA (Association Nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes) a attribué un marché de fourniture de services informatiques à la société Sopra Group, elle-même prestataire agréée de la société Oracle. En 2005, à la fin du marché, la société Oracle reprend l’ensemble des contrats et organise un premier audit de licences, puis un second, qui révèle, selon Oracle, que l’AFPA utilise 885 licences du logiciel Purchasing non compris dans le « pack » logiciel objet du marché de 2002. Les sociétés Oracle Corporation, Oracle International Corporation et Oracle France assignent l’AFPA pour contrefaçon de logiciel. L’AFPA fait remarquer que le logiciel Purcahsing est bien compris dans la suite logicielle objet du contrat de 2002, et si tel n’est pas le cas, le contrat a néanmoins été exécuté de bonne foi par elle puisque le logiciel Purchasing a été installé sur son système par la société Sopra, intégrateur mandaté par Oracle, et appelée en garantie par l’AFPA. Le tribunal juge que le litige entre les parties ressort exclusivement du champ de la responsabilité contractuelle et déclare les sociétés Oracle Corporation et Oracle International irrecevables pour défaut d’intérêt à agir, ainsi qu’Oracle France, les demandes de cette dernière étant prescrites (1). Le Tribunal retient que l’AFPA n’a pas réalisé elle-même l’installation du module litigieux, et qu’Oracle ne soutient pas que le module litigieux ait été « cracké ». En cela, le tribunal se place visiblement dans le sillon de jurisprudences récentes en matière de licence de logiciels, qui considèrent qu’il n’y a pas atteinte au droit d’auteur, mais simple non-respect d’une obligation contractuelle de ne pas faire, lorsque l’utilisateur légitime d’un logiciel procède à une modification du périmètre d’utilisation de celui-ci sans l’accord de l’éditeur. Cette solution n’est pas entièrement satisfaisante en l’espèce, dans la mesure où les contrats de licence ne semblent pas faire référence au module Purchasing, empêchant par conséquent de considérer l’AFPA comme un utilisateur légitime de ce module. En l’espèce le reproche adressé par Oracle à son client semble plus tenir à l’utilisation sans licence d’un module qu’à un dépassement de la capacité d’utilisation. La motivation du Tribunal, à propos du droit d’utilisation du module Purchasing par l’AFPA, peut surprendre, dès lors qu’il estime que l’installation du module Purchasing sur le système de l’AFPA signifie que cette dernière dispose des droits pour l’utiliser. Une telle approche est difficilement conciliable avec les dispositions de l’article L122-7 du Code de la propriété intellectuelle (2) ou encore de celles de l’article L111-3 (3). L’assimilation de la livraison du module litigieux au transfert d’un droit d’utilisation sur celui-ci reviendrait alors à créer une présomption de cession pour les licences de logiciels marquant ainsi une singularité supplémentaire pour cette catégorie d’œuvre. En pratique, la majorité des logiciels de type « ERP » sont fournis avec l’intégralité des modules sans que les droits d’utilisation soient concédés pour tous les modules livrés. Aussi, le tribunal n’a-t-il pas simplement voulu sanctionner le comportement abusif d’Oracle, qui a fait pression sur son licencié en réalisant un audit de licences peu avant le renouvellement du marché afin d’en obtenir l’attribution. Oracle n’ayant pas été retenu, elle a d’ailleurs notifié à l’AFPA les conclusions de l’audit de licences et initié par là-même le présent litige. La portée de la présente décision est à relativiser et la position de la Cour d’appel de Paris sera analysée avec beaucoup d’attention. Un contrat de licence, tout particulièrement lorsqu’il porte sur des produits ou services informatiques complexes, doit envisager avec précision l’ensemble des droits cédés, ainsi que le périmètre d’utilisation. Benoit de Roquefeuil Martin Leny Lexing Contentieux informatique (1) TGI Paris, 3ème ch. 1ère sect. 6-11-2014 (2) Démembrement du droit d’exploitation et interprétation stricte des cessions de droits. (3) Selon cet article, la propriété incorporelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel.

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