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Economie juridique Progiciel intégré

Economie juridique L’intégration d’un progiciel de gestion intégré dans le cadre d’un contrat de formation professionnelle Les deux parties demandent à être indemnisées de leurs pertes En 1998, une entreprise décide d’intégrer le progiciel ERP SAP/R3. Pensant disposer de compétences internes suffisantes et souhaitant minimiser ses coûts, la société choisit de rester maître d’œuvre du projet et conclut un contrat de formation professionnelle avec une SSII, chargée d’assurer uniquement un transfert de compétence. Le projet ne se déroule pas dans un climat de confiance : l’entreprise n’assure pas la direction du projet de manière satisfaisante, alors que la SSII ne s’implique pas et fournit une formation insuffisante. L’intégration est retardée et les parties décident de mettre fin à leurs relations après le refus du client de retenir une solution plus coûteuse. Dans l’incapacité financière de relancer le projet, l’entreprise renonce à l’intégration du progiciel et demande l’indemnisation de son préjudice, chiffré à plus d’un million d’euros (frais de personnel, gain manqué). La SSII demande le paiement du prix de ses formations, des redevances de licence et de maintenance et des dommages et intérêts, pour un total d’environ 250 000 euros. Par jugement du 9 février 2001, le tribunal de commerce de Paris a ordonné le paiement des formations fournies par la SSII (30 490 €). L’enjeu En présence d’un partage de responsabilités entre les parties adverses, les juges du fond disposent d’une grande marge d’appréciation pour prononcer l’indemnisation de leurs dommages. Un partage de responsabilité défavorable au client Selon la cour, les deux parties « sont concurremment et également responsables » de l’échec du projet et chacune est tenue de réparer les conséquences de ses fautes. Dès lors, la décision en matière d’indemnisation pouvait s’orienter dans deux directions. La cour aurait pu répartir les dommages subis à parts égales entre les parties : le montant total des dommages retenus par les juges est divisé par deux (50%), ce résultat est déduit du montant des dommages retenus pour chaque partie et la victime dont les dommages sont les plus élevés est indemnisée par l’autre victime du solde positif obtenu. L’autre solution consiste à considérer que les deux parties sont fautives et sont responsables de leurs propres dommages quelle que soit leur ampleur. L’ensemble des dommages subis n’est pas pris en compte. La cour retient cette deuxième solution, en considérant que le maître d’œuvre défaillant est à l’origine de ses dommages et en le condamnant à payer à son fournisseur les redevances de licence du progiciel et un tiers des prestations de formation fournies, soit une somme totale de 122 927 euros, chacun conservant à sa charge ses propres dommages. Les conseils La décision peut dépendre de l’importance des dommages respectifs des parties, mais également du lien de causalité entre les différentes fautes et les dommages causés. (1) CA Paris, 7 mai 2003 (25e ch.) GFI Informatique /Etablissements Denis Paru dans la JTIT n°26/2004 p.7

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Economie juridique JP Logiciel et Parasitisme

Economie juridique Un éditeur de logiciels condamné pour parasitisme Un partenariat enrichissant…pour celui qui décide d’y mettre un terme Les auteurs d’un logiciel de création d’images de synthèse créent la société Synx pour en exploiter les droits. Celle-ci conclut en 1992 un contrat avec un éditeur de logiciels, Softimage, portant sur l’intégration de son logiciel dans celui de Softimage et la commercialisation de l’ensemble ainsi obtenu, contre le paiement de 2250 $ de redevances par licence distribuée, avec un minimum de 180 000 $ annuels. Le groupe Microsoft devient l’actionnaire principal de Softimage. Peu de temps après, Softimage propose à Synx de renégocier à la baisse le montant de ses redevances. Suite au refus de cette dernière, Softimage résilie le contrat en respectant les formes et les délais de résiliation. L’éditeur poursuit la commercialisation du logiciel, incluant les fonctionnalités apportées par Synx, mais elle ne rémunère plus celle-ci puisque leur accord est résilié. L’enjeu A défaut de preuve de l’étendue d’un dommage, les juges peuvent être conduits à minimiser son évaluation. La contrefaçon n’étant pas prouvée, l’éditeur est condamné pour parasitisme Infirmant la décision du Tribunal de commerce de Nanterre (26 septembre 2001), la Cour d’appel de Versailles déduit du rapport d’expertise judiciaire que la contrefaçon n’est pas prouvée. Elle considère que l’éditeur s’est appropriée illégitimement le savoir-faire et le travail de développement des auteurs du logiciel, ce qui constitue un acte de parasitisme. Elle évalue alors leur préjudice, la société Synx ayant été liquidée entre temps. Les conseils Tout projet de partenariat doit être conduit en conservant les preuves des coûts supportés (comptabilisation des heures de travail, notamment) et en établissant des objectifs financiers précis, si possible avec le partenaire. En cours de procédure, il est possible d’exiger de son adversaire, par sommation, la production de certains documents, ou de demander une expertise pour évaluer le préjudice. La Cour évalue la valeur du travail approprié Selon la Cour, le préjudice des auteurs correspond à la valeur de leur travail d’analyse et de conception approprié par l’éditeur. Un tel préjudice peut être évalué selon deux optiques distinctes : soit en chiffrant le coût du travail réalisé, dont on déduit les redevances déjà perçues, soit en évaluant le manque à gagner à la marge qui aurait dû être réalisée sur les redevances non perçues, pendant la période litigieuse. La Cour retient la deuxième solution, mais ne disposant pas du nombre de licences cédées par Softimage depuis la résiliation, que cette dernière n’a pas produit, elle chiffre le manque à gagner des auteurs au montant minimum des redevances qu’ils auraient pu percevoir pendant la durée du parasitisme (45 mois). La poursuite du contrat aurait pourtant pu permettre de dépasser ce minimum contractuel. Qui plus est, c’est le montant minimum annuel de redevances figurant dans la proposition non acceptée par les auteurs (150 000 $) qui sert de base au chiffrage, et non celle du contrat résilié (180 000 $). Les auteurs obtiennent ainsi une indemnisation de la contre valeur en euros de 562 500 $ (150 000 $ / 12 X 45 mois), soit environ 477 180 €. CA Versailles, 9 octobre 2003, (12e ch.) Microsoft France / Synx Relief, Raymond P. et Isabelle C. Bertrand Thoré Directeur du Département Economie juridique bertrand-thore@alain-bensoussan.com Paru dans la JTIT n°27/2004 p.7

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Economie juridique Jp Exploitation indue d’une base de données

Economie juridique Exploitation sans droit d’une base de données Une base de données exploitée à peu de frais Une société qui édite et commercialise un annuaire des communes de France, achète à la société Jataka, pour 129 €, des fichiers comportant les coordonnées mises à jour de toutes les communes de France. Elle n’a pas l’autorisation de diffuser ni d’exploiter les données acquises, seul un droit d’usage final de celles-ci lui ayant été concédé. Malgré cela, elle les diffuse gratuitement puis les commercialise sur son site et dans un annuaire papier. 4Le créateur de la base de données et la société Jataka, qui dispose d’une licence d’exploitation, demandent au tribunal d’interdire à la société de diffuser les données et de la condamner à les indemniser du montant de l’investissement engagé pour la création de la base (68 602 €), des redevances qui auraient dues être versées pour exploiter la base (80 565 €) et des gains manqués résultant de la perte de clientèle (76 225 €). Les principes La réparation accordée doit réparer l’intégralité du préjudice subi , sans qu’il en résulte ni perte ni profit, c’est-à-dire sans tenir compte de l’importance de la faute commise.Les demandeurs doivent rapporter la preuve de leur préjudice personnel. L’exploitation sans droit du contenu de la base est condamnée Le tribunal (1) refuse à l’auteur de la base la protection de l’article L 112-3 du Code de la propriété intellectuelle (originalité de la création non démontrée), mais lui accorde la qualité de producteur et le bénéfice des dispositions de son article L 341-1. Il considère que la société EIP a engagé sa responsabilité à l’égard du producteur, en mettant à la disposition du public, sans autorisation, une partie substantielle du contenu de la base et constate que l’exploitation des fichiers sans droit constitue un acte de concurrence déloyale. Les enjeux Le manque à gagner de Jataka semble doublement indemnisé (redevances d’exploitation + perte de clientèle). L’évaluation de sa perte de clientèle est peu motivée, alors qu’elle représente près du double du montant total des investissements invoqués pour la création de la base. Le créateur de la base bénéficie de la réparation, sans prouver son préjudice personnel, qui dépend des dispositions du contrat de licence conclu avec Jataka, qui ne sont pas discutées. Une réparation aussi élevée que peu motivée Le tribunal considère que les demandeurs ne peuvent être indemnisés à la fois des investissements engagés pour créer la base et des redevances qu’aurait dû verser EIP pour l’exploiter. En effet, l’investissement réalisé n’est pas anéanti et les demandeurs n’ont perdu que les redevances qu’ils auraient dû normalement percevoir d’EIP, que le Tribunal évalue à 44 908 € TTC sur la base des justificatifs produits. Le Tribunal relève ensuite que la société EIP a réalisé des gains (non chiffrés) en exploitant les données sur son site web et dans son annuaire, et que les demandeurs ont subi une perte de clientèle (non chiffrée). Il retient les 76 225 € demandés à ce titre, « nullement exagérés ». Il accorde même aux demandeurs une réparation totale de 156 789 €, ajoutant une somme de 35 657 € (sans expliquer son calcul), au titre de trois autres sites web qui pointaient vers le site exploitant les données. Ces gains et ces « pertes » auraient pourtant été réalisés de la même manière si EIP avait versé le montant des redevances d’exploitation, dont la réparation est accordée. Cette demande aurait donc dû être écartée au même titre que celle relative aux investissements. En outre la réparation est accordée globalement aux deux demandeurs, à charge qu’ils se répartissent l’indemnisation, sans distinguer leurs préjudices personnels. TGI Strasbourg, 22 juillet 2003 (2ème ch. com.), Jataka, P.M. / EIP, P.G. Bertrand Thoré Directeur du Département Economie juridique bertrand-thore@alain-bensoussan.com Paru dans la JTIT n°29/2004 p.7

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Economie juridique JT Concurrence déloyale

Economie juridique L’opérateur historique condamné pour concurrence déloyale Concurrence déloyale sur la présélection de l’opérateur, suite… Dans une affaire récente (1) opposant l’opérateur de téléphonie fixe Télé2 à France Télécom, le Tribunal de commerce de Paris s’est prononcé une seconde fois (2) sur l’utilisation commerciale des données d’interconnexion obtenues par l’opérateur historique à l’occasion des demandes de présélection effectuées par des clients en faveur d’un concurrent. Moins de deux mois après la décision rendue en faveur de 9 Télécom, qui lui accordait une indemnisation de 7 millions d’euros, Télé2 demande au Tribunal de constater le caractère déloyal des mêmes pratiques de France Télécom à son encontre : démarchage de ses clients pour les inciter à résilier la présélection souscrite en sa faveur. L’enjeu L’étendue d’un même dommage peut être appréciée de manière très différente selon la juridiction saisie, et la Cour de cassation exerce son contrôle sur l’application des principes d’évaluation et non sur les montants retenus par les Tribunaux. L’opérateur historique condamné une nouvelle fois Le tribunal considère que l’utilisation des informations de présélection par le personnel commercial de France Télécom pour des campagnes de prospection constitue un acte de concurrence déloyale dont le caractère fautif est renforcé par la position dominante de l’opérateur. Télé 2, assisté du même cabinet de conseil que 9 Télécom, formule une demande de réparation dont le montant total s’élève à plus de 75,5 millions d’euros, qui comprend les coûts d’acquisition de la clientèle perdue (12,1 M€), les coûts des actions menées auprès de ses clients pour les reconquérir (10,7 M€) et les diverses pertes de marge sur le chiffre d’affaires qui aurait dû être réalisé grâce à ces clients (téléphonie fixe, ADSL, parrainage d’autres clients : 52,7 M€). Selon l’opérateur 114 899 clients ont annulé leur présélection en raison des pratiques de France Télécom. Les conseils Exploiter les précédents judiciaires pour bâtir son dossier d’indemnisation afin de permettre au Tribunal de s’appuyer sur ceux-ci pour prononcer sa condamnation A défaut de preuve indiscutable des dommages, élaborer le dossier le plus convaincant possible à l’aide d’un expert. Nouveau recours au pouvoir souverain d’évaluation Comme dans l’affaire 9 Télécom, le tribunal constate la difficulté d’évaluation des dommages. Il souligne même le manque de preuves et son incapacité à vérifier les calculs présentés, mais décide néanmoins d’user de son pouvoir d’appréciation pour évaluer les dommages. Il retient « à titre de référence sans valeur probante » les 114 899 clients dont Télé 2 invoque la perte. Seuls les préjudices estimés directs et certains sont retenus : coûts des actions menées envers les clients perdus, et une partie des pertes de marge. Leur étendue est fixée à un montant global de 15 millions d’euros.4Pour des faits très semblables, le préjudice de 9 Télécom avait été évalué à 7 millions d’euros, pour une perte de 150 000 clients retenue (soit 46,7 € par client). Télé 2 obtient ici une réparation qui s’élève à 130,5 € par client perdu, en considérant les 114 899 clients retenus « à titre de référence » par le tribunal. Selon deux chambres du même tribunal, la rentabilité par client est donc très variable selon l’opérateur considéré. (1) T. com., Paris, 28 mai 2004 (15e ch.), Télé2 France c. France Télécom (2) T. com., Paris, 18 juin 2003 (8e ch.), 9 Telecom c. France Télécom. Voir Juristendance n°28, mai 2004, p. 7 Bertrand Thoré Directeur du Département Economie juridique bertrand-thore@alain-bensoussan.com Paru dans la JTIT n°32/2004 p.7

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Economie juridique JP perte de chance de gain

Economie juridique Une perte de chance de gain peut être réparée Un changement d’actionnariat aux lourdes conséquences La société Atos Euronext SBF (ci-après Atos), qui détient 50% du capital de la société Astria, fournisseur de systèmes et projets monétiques clés en main pour les secteurs bancaire et informatique, envisage en 1998 d’acquérir la totalité des actions de la société. Ce projet se heurte à l’opposition de plusieurs cadres dirigeants d’Astria, menée par son Directeur général, qui est finalement licencié. Celui-ci s’engage, aux termes de la transaction conclue avec Astria, à ne pas la concurrencer pendant une année. Deux mois après son départ, début 1999, il crée une nouvelle société qui recrute dix-sept cadres et ingénieurs démissionnaires de la société Astria (qui comptait 67 salariés) et s’approprie au moins trois de ses clients. L’enjeu Le préjudice qui consiste a avoir obtenu des résultats inférieurs aux prévisions, qualifié de perte de chance de gain, peut être réparé lorsqu’il est correctement justifié. Les faits de concurrence déloyale et parasitaire sont établis En novembre 2001, le Tribunal de grande instance de Paris a rejeté l’action en concurrence déloyale d’Atos, pour défaut de preuve, et l’a condamnée à verser 7 622,45 € à chacun des défendeurs, pour procédure abusive. Au contraire, la Cour d’appel de Paris retient le débauchage massif de salariés et l’appropriation de la clientèle et du savoir faire de la société Astria par ses anciens cadres et par la nouvelle société. Elle considère que ces faits commis dans le cadre d’une action concertée sont constitutifs d’une concurrence déloyale et parasitaire. La cour évalue son préjudice au regard de la désorganisation subie. Les conseils Il doit être évalué au montant de la perte de marge subie en déduisant du chiffre d’affaires perdu les coûts variables qui auraient été supportés pour réaliser ce chiffre d’affaires. Le choix de la marge à prendre en compte (marge brute, EBE, marge d’exploitation ou résultat net) est discutable. En l’espèce, le demandeur a retenu la marge la plus faible (résultat net), donc la moins contestable. Une perte de chance de gain évaluée de façon pertinente La société Astria demandait 6 059 098 € au titre de la baisse de son CA et de ses résultats et 150 000 € en réparation de l’atteinte à son image de marque. La Cour constate une réduction importante du chiffre d’affaires sur les deux exercices suivants les faits, par rapport au précédent et une chute de 93% du résultat net entre 1998 et 1999 (de 2 millions € à 140 000 € environ). Examinant les prévisions de résultats établies par Astria pour 1999 et 2000, qui font apparaître, par rapport à ses résultats réels, un résultat net inférieur de 6 millions € sur les deux exercices, la cour évalue son manque à gagner à 2 millions €. Atos obtient donc plus de 30% du montant de sa demande, ce qui est un bon résultat pour la réparation d’une perte de chance de gain. L’arrêt lui accorde également 100 000 € pour l’atteinte à son image et ordonne la publication de la décision aux frais des défendeurs. CA Paris, 04/02/2004, 5e ch. Bertrand Thoré Directeur du Département Economie juridique bertrand-thore@alain-bensoussan.com Paru dans la JTIT n°35/2004 p.7

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Economie juridique JP Résolution incidences financieres

Economie juridique Résolution des contrats : les incidences financières Fourniture d’un SI par deux fournisseurs dont l’un est maître d’œuvre En 1997, l’IFTH s’engage en tant que maître d’œuvre à fournir, avec obligation de résultat, un système informatique de gestion à la société Léonard Fashion. L’IFTH préconise, pour le fonctionnement du système dont elle doit réaliser l’intégration, des matériels, logiciels et un système d’échange électronique de données, fournis par la société Kersys, qui signe à ce titre plusieurs contrats avec Léonard Fashion. Constatant des dysfonctionnements du système de transfert de données, Léonard Fashion refuse de prononcer la recette du système et demande une expertise judiciaire. L’enjeu Les conséquences financières de la résolution des contrats s’apprécient au cas par cas et peuvent diverger selon les faits de l’espèce et les juridictions La résolution aux torts des deux fournisseurs Sur la base du rapport d’expertise, le Tribunal de commerce de Paris (1) a prononcé la résolution des contrats aux torts de l’IFTH et de Kersys, ordonné la restitution de toutes les sommes versées par Léonard Fashion à ce titre (74 791,49 € pour l’IFTH, 101 122,48 € pour Kersys) et lui a accordé 500 000 € de dommages et intérêts en réparation de ses charges diverses (200 000 €) et de la désorganisation subie (300 000 €). La Cour d’appel confirme le jugement sur les responsabilités et la résolution des contrats, l’IFTH n’ayant pas respecté son engagement de fournir un système opérationnel, même si les dysfonctionnements du système de transfert des données, sont imputables à Kersys (2). L’arrêt réforme cependant le jugement sur le montant des restitutions, ce qui lui donne l’occasion de formuler certains principes. Les conseils La demande de restitution des sommes versées dans le cadre de contrats dont la résolution est demandée doit tenir compte de la possibilité de restitution des éléments fournis et, dans le cas de prestations, être assortie d’une demande de dommages et intérêts. Les réglements effectués doivent être justifiés par des documents comptables ou bancaires. Des principes en matière de restitution, de TVA et de préjudice La Cour considère que la résolution, qui anéantit rétroactivement les contrats, implique la restitution des sommes versées contre restitution des éléments livrés et ne peut donc s’appliquer qu’aux matériels et logiciels et non aux prestations (développement, maintenance, formation). L’arrêt précise que le coût de ces prestations ne peut être indemnisé qu’à titre de dommages et intérêts, pour frais inutiles, ce qui n’est pas toujours la solution retenue par la jurisprudence. Par ailleurs, la Cour rappelle certaines règles souvent ignorées : la restitution d’une somme versée ne peut être accordée que si la preuve de son règlement est rapportée, et la TVA payée ne peut être restituée que si elle n’a pas été récupérée. Enfin la Cour rappelle que les frais de personnel permanent (par opposition aux frais de personnel intérimaires, de CDD ou d’heures supplémentaires) supportés par le client dans le cadre d’un projet informatique ayant échoué peuvent être réparés s’ils sont importants et précisément justifiés. (1) ) T. com. Paris, ch. 1, 10 décembre 2001, n°2000/53068 (2) CA Paris, 2 juillet 2004, 25e ch. sect. B, IFTH c. SA Léonard Fashion et SARL Kersys Bertrand Thoré Directeur du Département Economie juridique bertrand-thore@alain-bensoussan.com Paru dans la JTIT n°34/2004 p.7

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Economie juridique JP partenariat vente logiciel matériel

Economie juridique En principe, les réparations accordées sont de nature compensatoire… Un partenariat pour la vente de logiciels et de matériels La société Bull, constructeur de matériels informatiques et la société Integro, société d’ingénierie informatique, ont développé des relations de partenariat depuis 1989, dans le cadre d’un ensemble contractuel aux termes duquel Integro fournit des logiciels intégrés à certains matériels commercialisés par Bull. Une charte de coopération commerciale fixe les modalités de promotion et de vente d’une offre logicielle et matérielle commune. Estimant que Bull n’a pas respecté ses engagements contractuels, Integro l’assigne devant le Tribunal de commerce de Paris. Celui-ci, par décision du 5 février 1999, a rejeté la totalité de ses demandes. L’enjeu En principe, en droit civil français, le demandeur doit rapporter la preuve des dommages subis et les réparations accordées sont de nature compensatoire, c’est-à-dire qu’elles ont pour objet de réparer intégralement, mais strictement, les dommages subis et justifiés. Des demandes qui s’élèvent à près de 24 millions d’euros Faisant appel de cette décision, Integro demande à la Cour de Paris de condamner Bull, pour violation de son engagement de priorité de vente, à réparer son manque à gagner, à hauteur de 22 867 353 euros et à lui verser 914 694 euros pour avoir reproduit de façon illicite son logiciel. La Cour d’appel de Paris constate que Bull a respecté ses engagements liés à la promotion de l’offre, qui se limitaient à proposer systématiquement celle-ci, sans exclusivité ni même de priorité, et déboute Integro de sa demande de réparation du manque à gagner. Cependant, la Cour relève que Bull a reconnu, dans différents courriers, avoir dupliqué certains éléments logiciels fournis par la société Integro, sans lui reverser les sommes dues à ce titre, qui s’élèvent à 137 273 euros. Bull est donc condamnée à lui verser cette somme. En outre, la Cour estime à 762 245 euros le préjudice résultant des duplications illicites effectuées par Bull, en considérant leur « gravité », et l’obstruction dont elle a fait preuve en refusant l’examen contradictoire des pièces et en refusant de reconnaître plus de duplications qu’elle n’en avait avoué par courrier. Les conseils Les juridictions de première instance peuvent cependant faire usage de leur pouvoir souverain d’appréciation de l’étendue des dommages, reconnu par la Cour de cassation, pour prononcer une réparation dont le montant ne semble pas étranger à l’importance de la faute commise. Le contrôle de la Cour suprême ne s’exerce en tout état de cause, que selon les moyens de cassation invoqués. Une réparation dont le montant est évalué souverainement La société Bull est donc condamnée à réparer un préjudice évalué, non pas en fonction des preuves produites par les parties, mais, semble-t-il, en considérant la « gravité » de ses fautes ainsi que des preuves qu’elle aurait refusé de rapporter. Bien que n’ayant apparemment pas produit les preuves de l’étendue de son préjudice résultant des duplications, Integro obtient la quasi-totalité des sommes demandées à ce titre. La Cour de cassation, saisie par Bull, rejette son pourvoi en estimant que la Cour d’appel a légalement justifié sa décision en constatant des reproductions illicites des logiciels et qu’elle a souverainement évalué le préjudice découlant de cette faute dans l’exécution du contrat. (1) CA Paris, 20/12/2000 (5e ch.), IACS c. Sté Bull (2) Cass. civ. 08/06/2004, 1re Ch. civ., Sté Bull c. IACS Bertrand Thoré Directeur du Département Economie juridique bertrand-thore@alain-bensoussan.com Paru dans la JTIT n°36/2005 p.7

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Economie juridique JP référencement payant par liens sponsorisés

Economie juridique La contrefaçon de marque sur internet peut causer des dommages considérables Une affaire de référencement payant par liens sponsorisés La société Overture et sa maison mère américaine, commercialisent des liens promotionnels sur internet pour des annonceurs : leurs clients les rémunèrent pour qu’apparaissent un lien vers leur site web, en bonne position, dans les pages de résultats fournis par les outils de recherche de leurs partenaires, lorsque les recherches sont effectuées à partir des mots clés qu’ils ont sélectionnés. Le prix des mots clés réservés est fixé aux enchères et Overture est rémunérée en fonction du nombre de « clics » générés par les liens. Le groupe hôtelier Accor a constaté, depuis la fin de l’année 2001, que Overture mettait à la disposition des annonceurs, sur son site web, un outil de suggestion de mots clés qui proposait, comme mots clés pour les recherches relatives aux hôtels, plusieurs de ses marques ou de ses noms commerciaux. Il a donc assigné les deux sociétés pour contrefaçon de marque, atteinte à sa dénomination commerciale, à ses noms commerciaux, et pour parasitisme et publicité trompeuse. L’enjeu La contrefaçon de marque sur internet peut être à l’origine de dommages considérables, notamment lorsque, comme en l’espèce, elle est de nature à causer des détournements de clientèle par des concurrents. Des demandes de réparation très élevées mais peu satisfaites Accor estime ses préjudices à la somme totale de 46 millions d’euros ! Mais ses demandes ne semblent ni précisément chiffrées (chaque demande est arrondie au million d’euros…), ni justifiées. Elle invoque l’affaiblissement de ses marques, la perte de ses investissements publicitaires, des détournements de clientèle, mais semble avoir évalué ses dommages uniquement en se référant aux résultats réalisés par Overture, toutes activités confondues, comme le souligne le Tribunal. Celui-ci considère que les sociétés Overture, en incitant les annonceurs à sélectionner comme mots clés les marques notoires du groupe Accor, pour en tirer profit, ont commis des actes de contrefaçon. Elle rejète cependant les autres demandes d’Accor et ne lui accorde qu’une somme de 200 000 euros pour réparer la contrefaçon, alors que le préjudice invoqué à ce titre s’élevait à 12 millions d’euros. La société Accor n’obtient donc que 1,66 % du montant de sa demande au titre de la contrefaçon, à défaut de justification suffisante du préjudice relatif au détournement de clientèle et à la perte de chiffre d’affaires liée. Les conseils Faire état de tout les éléments permettant de prouver l’existence et l’étendue de ses préjudices. Lorsqu’il s’agit de détournement de clientèle et de perte de chiffre d’affaires, il faut fournir au Tribunal le maximum d’éléments permettant d’en apprécier la gravité. TGI Nanterre, 17/01/2005, Sté Accor c. Stés Overture et Overture Services Inc Bertrand Thoré Directeur du Département Economie juridique bertrand-thore@alain-bensoussan.com Paru dans la JTIT n°37/2005 p.7

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Economie jurdique-JP38

Economie juridique Difficultés d’appréciation des dommages sur internet Nouvelle affaire de liens commerciaux sur un moteur de recherche Après la décision du TGI de Nanterre du 17 janvier 2005 (2) ayant condamné Overture pour contrefaçon, à l’occasion de la vente de liens promotionnels (voir JTIT n°37), le TGI de Paris a rendu une décision relative à des faits similaires, dont la comparaison avec la précédente est intéressante sur le plan de l’indemnisation des dommages (1). Comme dans l’affaire précitée, Google commercialise des mots clés auprès d’annonceurs, sans contrôler les droits dont ils disposent, pour qu’un lien vers leur site apparaisse en bonne position dans les pages de résultats fournies aux internautes, lorsque ces mots clés sont recherchés. Parmi les mots clés proposés à la vente par Google, la société Louis Vuitton Malletier a constaté que figuraient plusieurs de ses marques, souvent associées à des termes tels que « copie », « imitation ». Ainsi, un internaute recherchant les termes « copie Vuitton » pouvait accéder directement à des sites proposant des produits contrefaisants. L’enjeu Alors que les affaires de contrefaçon et de concurrence déloyale sur internet se multiplient, les victimes et les tribunaux ont encore des difficultés pour en apprécier précisément toutes les conséquences. Evaluation forfaitaire des demandes et de la réparation accordée Vuitton ayant assigné Google pour contrefaçon de marques, atteinte à sa dénomination sociale, à son enseigne, à son site internet et pour publicité trompeuse, le tribunal retient la totalité des griefs invoqués. Alors que le groupe Accor avait demandé à l’encontre d’Overture une réparation de 46 millions d’euros, Vuitton a évalué à 150 000 euros le préjudice résultant de la contrefaçon et à 150 000 euros celui résultant des actes de concurrence déloyale et de publicité trompeuse. Le jugement apprécie cette demande en relevant la durée des faits litigieux (6 mois), la notoriété des marques en cause, « l’importance » du site internet de Vuitton et les sommes « élevées » (non citées) investies pour la promotion de ses marques. Il lui accorde la même réparation qu’au groupe Accor, soit 200 000 euros au total. Comme dans la décision Accor, les préjudices invoqués semblent évalués sans justification quantitative. Vuitton obtient les deux tiers de la somme demandée, là où Accor avait obtenu moins de 2% de sa demande au titre de la seule contrefaçon. Les faits apparaissent plus graves en l’espèce (liens vers des sites contrefaisants) et la responsabilité de Google est retenue à plusieurs titres. Les dommages subis auraient mérités d’être évalués et appréciés à partir de données chiffrées : chiffre d’affaires réalisé par Google à partir des mots clés litigieux, nombre de clics enregistrés, dépenses à engager pour rétablir l’image de Vuitton. Les conseils Les outils de mesure et d’analyse d’audience des sites web peuvent pourtant fournir des informations précises pour estimer l’impact des faits constatés sur le public.Associées aux données comptables, ces informations peuvent justifier les dommages causés et améliorer les chances de réparation. Notes (1) TGI Paris, 3ème ch. 04/02/2005, Louis Vuitton Malletier c. Google Inc et Google France (2) TGI Nanterre 17/01/2005, Accor c. Overture Paru dans la JTIT n°38/2005 p.8

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Economie juridique JP Indemnisation des préjudices

Economie juridique Comment justifier le montant d’un manque à gagner ? Promotion de moyens de fraude à la télévision payante… Un site internet a proposé, de juin à décembre 2001, des informations, des logiciels et des cartes permettant d’accéder gratuitement et frauduleusement aux programmes de plusieurs chaînes de télévision à péage et notamment de TPS. L’opérateur de télévision par satellite a poursuivi devant la juridiction pénale le particulier ayant créé et exploité ce site. Celui-ci a été condamné pour promotion publicitaire de moyens de captation frauduleuse de programmes télédiffusés réservés à un public d’abonnés, mais le tribunal a débouté TPS de sa demande de réparation au titre d’un préjudice économique. La décision de première instance a été confirmée par la Cour d’appel de Paris, l’arrêt ayant considéré que les préjudices économiques invoqués avaient un caractère purement éventuel et qu’il n’était pas démontré qu’ils découlent de l’infraction. L’enjeu Il est généralement difficile de justifier le montant d’un manque à gagner. Les preuves matérielles sont inexistantes puisqu’il s’agit d’un événement qui ne s’est pas produit (un gain qui n’a pas été réalisé). Le juge du fond qui constate un préjudice doit le réparer TPS avait évalué ce préjudice à partir du nombre, connu, de visites effectuées sur le site frauduleux (80 000). Elle considérait ensuite que 5% de ces visiteurs (soit 4 000 personnes) avaient dû effectivement accéder gratuitement à ses programmes, pendant 6 mois (durée de fonctionnement du site), qu’elle proposait alors pour 25 euros par mois. Elle chiffrait son préjudice à 600 000 euros (4 000 X 25 € X 6 mois). Pour écarter la réparation de ce préjudice, la cour d’appel avait relevé que son évaluation reposait sur une double hypothèse : celle du nombre de visiteurs ayant effectivement mis en œuvre les moyens proposés, fixé arbitrairement à 5% des visiteurs, et le fait que ces fraudeurs auraient souscrit un abonnement à ses programmes. La cour de Cassation souligne que l’arrêt d’appel, en constatant que de nombreuses personnes avaient eu accès au site promouvant les moyens de captation des programmes, avait lui-même reconnu l’existence du préjudice invoqué. Dès lors, rappelant qu’il appartient aux juges du fonds de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont ils reconnaissent l’existence, la cour casse l’arrêt en considérant qu’il appartenait à la cour d’appel de rechercher l’étendue de ce préjudice et d’en prononcer la réparation, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation. Les conseils La Cour de cassation rappelle régulièrement qu’il découle de l’article 1382 du Code civil que tout préjudice dont l’existence est reconnue doit être réparé. La demande de réparation doit donc d’abord s’attacher à : démontrer que les faits sont nécessairement à l’origine d’un gain manqué, puis fournir à la juridiction les informations permettant d’en estimer l’étendue le plus précisément possible. (1) Cass. crim. 8 mars 2005, TPS c. L.V. (2) CA Paris 13eme Ch., 14 mai 2004 Bertrand Thoré Directeur du Département Economie juridique bertrand-thore@alain-bensoussan.com Paru dans la JTIT n°39/2005 p.3

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Economie juridique Jurisprudence La résolution d’un contrat de fourniture de système informatique pour vice caché Résolution des contrats sur fondement de garantie des vices cachés La société Cogim qui avait fait l’acquisition de matériels et de logiciels informatiques auprès de la société Unisys France, en 1993, a assigné cette dernière en résolution des contrats de vente et de licences de la configuration informatique livrée, en raison de dysfonctionnements rendant le système impropre à l’usage (1). Sur le fondement de la garantie des vices cachés (art. 1641 du Code civil), la Cour d’appel de Paris(1) a prononcé la résolution des contrats aux torts exclusifs de la société Unisys France et l’a condamné à lui rembourser les sommes payées au titre de la formation et de la maintenance (45 234 €) et à l’indemniser de ses préjudices (464 388 €). La cour d’appel n’a pas ordonné la restitution du prix des matériels fournis (338 717 €) car ceux-ci ont été revendus par Cogim et ne pouvaient être restitués au fournisseur en contrepartie. Elle a par ailleurs considéré que la société Cogim était redevable des factures non payées à Unisys (161 416 €) et a ordonné la compensation. La Cour de Cassation censure l’arrêt de la cour d’appel au motif que la résolution des contrats ne pouvait être prononcée du fait que la vente du matériel par l’acquéreur rendant impossible sa restitution. L’enjeu Pour obtenir la résolution d’un contrat de fourniture de système informatique pour vice caché, il est nécessaire d’être en mesure de restituer le matériel et les logiciels fournis en exécution du contrat. L’évaluation des préjudices par l’expert a été intégralement retenue La Cour de cassation (2) a en effet estimé que cette décision violait l’article 1644 du Code civil relatif aux vices cachés qui soumet la restitution de la totalité du prix à la restitution de la chose vendue. Mais en l’espèce, la Cour suprême en a tiré argument pour censurer la résolution elle-même, alors que celle-ci ne s’accompagnait pas de la restitution de la totalité du prix. Par ailleurs l’arrêt de la Cour d’appel avait curieusement ordonné le paiement (par compensation) des sommes dues par Cogim au titre du contrat, tout en prononçant sa résolution. Il est intéressant de souligner que la Cour d’appel avait retenu la totalité des préjudices évalués par l’expert judiciaire et notamment des frais de personnel interne, pour 265 051 € ainsi qu’un préjudice commercial (perte de clientèle), pour 150 594 €. Le montant des frais de personnel interne n’a pas été contesté quant bien même l’expert indiquait « qu’il n’avait pu vérifier qui travaillait sur le matériel ». La cour d’appel a considéré qu’il « a justifié cette évaluation en retenant que le maintien de ce matériel nécessitait plusieurs personnes et que l’estimation par la SA Cogim était correcte, en rappelant l’identité des personnes employées ». Les conseils Les conclusions du rapport d’expertise sur l’évaluation des préjudices subis peuvent être déterminantes pour l’indemnisation obtenue.La réparation peut porter sur d’importants coûts de personnels internes correspondant au temps consacré au projet, même si ces coûts auraient été supportés en toute hypothèse, lorsqu’ils sont justifiés. Notes (1) CA Paris, 25e ch. civ. Sect. B, 22 juin 2001 (2) Cass. com. 1er mars 2005, n° de pourvoi 01-15007 Paru dans la JTIT n°40/2005 p.7

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Economie juridique JP 41

Economie juridique Jurisprudence La démonstration de l’existence des dommages invoqués ne suffit pas toujours Conséquences de la location d’une solution informatique défectueuse Dans le courant de l’année 2000, une agence immobilière a conclu des contrats de location de matériel informatique avec la société Espace Infocom, qui a procédé à l’installation matérielle et logicielle du système. La solution rencontre de multiples dysfonctionnements que ni le loueur de matériel, ni la société chargée d’assurer sa maintenance, ne parviennent à résoudre. Le client décide de cesser d’honorer ses loyers et saisit le tribunal de commerce en réparation d’un préjudice estimé à 129 959 €. Le tribunal a condamné Espace Infocom à payer à son client la somme de 63 800 euros TTC à titre de dommages et intérêts (1). Le loueur du matériel ayant saisi la Cour d’appel d’Amiens de cette décision, l’agent immobilier porte sa demande de réparation à la somme de 705 881 euros. Selon la Cour, cette demande porte sur les investissements et les dépenses engagés par un site ayant dû être fermé suite aux difficultés (28 159 € et 11 048 €), une perte de chiffre d’affaires (567 083 €), un trouble commercial et une perte d’image (50 000 €) et les coûts de renouvellement du matériel (22 326 €). Le montant total de ces demandes ne correspond pourtant pas au total indiqué par la Cour (678 615 € seulement, soit une différence de 27 265 €). L’enjeu La démonstration de l’existence des dommages invoqués ne suffit pas à obtenir leur réparation. La décision a sans doute considéré que le manque à gagner ayant pour origine les dysfonctionnements était en réalité minime, voire inexistant. Une réparation très faible pour les dommages retenus La Cour retient la faute contractuelle du loueur du matériel qui n’a pas remis à son locataire un bien en état normal de fonctionnement (2). Pour apprécier les demandes de l’agent immobilier, elle souligne que les dysfonctionnements sont à l’origine de pertes de temps et d’efficacité ayant nuit à son image et d’un manque à gagner. Elle considère que le renouvellement du matériel est justifié mais estime non démontré le lien de causalité entre la fermeture du site et les dysfonctionnements. Dès lors, il semble que la Cour retienne l’existence des dommages suivants : perte de chiffre d’affaires, perte d’image et coûts du nouveau matériel, pour lesquels l’agent immobilier demande une somme totale de 630 409 €. Cependant, sans fournir plus de précision sur son évaluation des dommages, la Cour estime à seulement 30 000 € le montant total de l’indemnisation accordée. La victime des dommages obtient donc une indemnisation très inférieure à celle obtenue en première instance, et qui correspond seulement à 5% des dommages dont l’existence semble retenue. Les motivations ayant conduit la Cour à retenir ce montant sont inconnues, de même que le sort réservé à la somme de 27 265 € qui ne se retrouve pas dans le détail des dommages invoqués rapporté par la décision. Les conseils La démonstration de l’étendue des dommages repose autant sur une évaluation justifiée que sur la preuve de la causalité. Notes (1) TC Compiègne, 15 novembre 2002 (2) CA Amiens 27 juillet 2004 Espace Info-Com / Avenir Patrimoine Paru dans la JTIT n°41/2005 p.7

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Economie juridique Jurisprudence Bien gérer la phase précontentieuse d’un différend Des factures impayées pour un montant de 845 368 euros Transpac, filiale de France Télécom, fournit des prestations de collecte nationale de trafic internet à la société Nerim, fournisseur d’accès par ADSL.. Ce dernier ne s’estimant pas satisfait des conditions techniques et commerciales du service fourni, suspend le paiement de ses factures, puis prononce la résiliation du contrat. Après avoir mis en demeure Nerim de lui régler le solde de ses factures s’élèvant à 845 368 euros, Transpac saisit en référé le Tribunal de commerce de Paris pour obtenir le paiement des factures à titre de provision. La suspension de l’obligation de paiement est ordonnée, sous réserve que Nerim engage une procédure au fond dans les huit jours (1). Saisie par Transpac de cette ordonnance, la Cour d’appel de Paris souligne que la demande de paiement de Transpac, qui produit le contrat et les factures, est justifiée dans son principe et dans son montant, alors que Nerim n’a contesté ni les factures, ni la mise en demeure de Transpac. Dès lors, la Cour estime que l’obligation de paiement pesant sur Nerim n’est pas sérieusement contestable au sens de l’article 873 du NCPC (2). L’enjeu La gestion de la phase pré-contentieuse d’un différend peut s’avérer lourde de conséquences. Contre une provision de 10 millions d’euros de dommages et intérêts En appel, Nerim invoque divers manquements de Transpac aux règles de la concurrence et estime avoir subi un préjudice considérable. Elle demande à la Cour de condamner Transpac à lui verser une somme de 10 millions d’euros à titre de provision sur les dommages et intérêts que le juge du fond devrait lui accorder, espérant ainsi obtenir la compensation entre sa dette et la créance invoquée. Mais la Cour relève que la créance indemnitaire invoquée par Nerim ne peut constituer une contestation sérieuse de son obligation de payer, car les griefs invoqués par Nerim et leurs conséquences sont eux-mêmes sérieusement contestables et relèvent du débat devant le juge du fond. L’arrêt infirme donc la décision de référé en toutes ses dispositions et condamne Nerim à payer à Transpac, à titre de provision, la somme de 845 368 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure de Transpac (38 183 euros à la date de l’arrêt). La société Nerim est donc condamnée à payer la totalité des factures, dans l’attente du jugement au fond, à défaut d’avoir contesté celles-ci et d’avoir notifié son préjudice à son cocontractant avant de prononcer la résiliation du contrat. Les conseils Il est indispensable de contester dès réception toute facture émise par le cocontractant qui n’exécute pas correctement ses obligations et de lui notifier les préjudices qui résultent de ces inexécutions. Notes (1) TC Paris, ordonnance du 21 janvier 2004 (2)CA Paris 4 mars 2005 SA Transpac / SARL Nerim Paru dans la JTIT n°42-43/2005 p.7

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Economie juridique Jurisprudence Parodies, diffamations, injures et dénigrements sur le web : Quelles indemnisations? La modération des condamnations semble succéder à la sévérité Nouveau moyen de diffusion de l’information à la portée de tous les publics, l’internet s’est révélé dès ses origines comme un espace de liberté d’expression. Cette liberté s’exerce parfois au détriment des droits ou de l’image des entreprises lorsque les messages diffusés sont injurieux, diffamatoires ou dénigrants, à leur égard ou que l’utilisation caricaturale de leurs marques est à l’origine d’un risque de confusion. Les tribunaux sont amenés régulièrement à réparer les conséquences des abus constatés. La dernière décision rendue en la matière n’a accordé qu’un euro de dommages et intérêts à la société « Amen », victime d’injure publique sur un forum de discussion(1). Cette indemnisation symbolique est associée à une mesure de publication, mais celle-ci ne vise que le site internet de la société gérée par l’auteur des messages, concurrente de la victime et non celui où les messages étaient diffusés. La première condamnation importante (39 637 €) avait été prononcée en 2000 contre deux particuliers, en faveur de la RATP pour contrefaçon de marque et dénigrement(2). La condamnation la plus lourde (94 000 € frais de publication inclus) visait les animateurs d’un site de défense des consommateurs ayant diffusé ou laissé diffuser des propos injurieux, diffamatoires ou dénigrants à l’égard de la société Père-Noël.fr(3). La Cour d’appel de Paris a également sévèrement sanctionné (83 847 euros frais de publication inclus) une société pour avoir dénigré un concurrent et contrefait sa marque sur son site internet et par un lien hypertexte(4). L’enjeu L’impact des messages ou informations diffusées par internet peut être considérable pour l’image d’une entreprise, mais il dépend de multiples critères et en premier lieu, du nombre d’internautes qui ont pu en avoir connaissance. Mais les méthodes d’évaluation restent toujours aussi imprécises L’affaire Pernod Ricard(5) s’était déjà soldée par une condamnation plus mesurée (9 500 € frais de publication inclus). Pourtant, le point commun de l’ensemble des décisions rendues dans ce domaine reste l’absence quasi-totale d’explications concernant l’évaluation de l’étendue des dommages subis. Les demandeurs évaluent leurs dommages, sans les qualifier ni les justifier, par dizaines ou centaines de milliers d’euros (ou de francs avant 2002) et les juges arrondissent de même le montant des réparations, avant d’y ajouter le montant estimé des frais de publication. Seule la décision rendue en faveur de Pernod Ricard mentionne le nombre de visiteurs ayant consulté le site en cause pendant la période litigieuse, information pourtant indispensable pour estimer les conséquences de ces agissements. Celle-ci devrait être associée à toute autre information pertinente : statistiques de consultation des pages litigieuses, profil des visiteurs, relais de l’information par d’autres médias… Les conseils Dans le cadre d’une procédure civile visant la réparation du dommage, la victime doit obtenir la communication des statistiques détaillées de consultation du site et produire toute information utile à l’appréciation de son préjudice. Notes (1) TGI Paris, 7/03/2005, Amen c. Azuria et P.V. (2) TGI Paris, 21/03/2000, RATP c. L.M. et V.L. (3) TGI Lyon, 28/05/2002, Père-Noël.fr / F.M. et E.C. (4) CA Paris, 4e ch. 19/09/ 2001, NRJ c. Europe 2 Communication. (5) TGI Paris, 9/01/2004 Pernod Ricard et Pernod c. T.A. Paru dans la JTIT n°44/2006 p.7

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Economie juridique Jurisprudence La reproduction non autorisée du personnage d’un film se paye très cher Une campagne publicitaire diffusée sans autorisation préalable Un opérateur de téléphonie mobile et son agence de publicité ont utilisé un personnage qui ressemble fort à celui de « Leloo », créé par Luc Besson pour le film « Le cinquième élément », produit par la société Gaumont, dans le cadre d’une campagne de publicité de grande ampleur. L’annonceur et son agence ne démontrent pas qu’ils ont obtenu l’accord de l’auteur et du producteur du film pour la diffusion de cette campagne et le Tribunal de grande instance de Paris (1) juge que la reprise de certains éléments évocateurs du film constitue un acte de parasitisme. Ils sont condamnés à payer au producteur une somme de 300 000 euros de dommages et intérêts. L’agence de publicité, l’opérateur et l’auteur du film, débouté de sa demande au titre de la contrefaçon, font appel. L’enjeu Les conséquences des actes de contrefaçon et de parasitisme peuvent s’apprécier à partir des gains ou des économies réalisées par leur auteur. De très lourdes condamnations pour des préjudices peu discutés La Cour de Paris (2) considère que la reproduction du personnage, sans autorisation est contrefaisante et que l’utilisation délibérée de plusieurs éléments évocateurs du film, dans l’intention de ce placer « dans le sillage » de l’œuvre, constitue une appropriation du travail intellectuel et des investissements de l’auteur et du producteur. Le producteur, qui demandait une somme de 1 500 000 euros au titre de la contrefaçon et de 1 500 000 euros pour les actes de parasitisme, obtient une réparation de 750 000 euros pour la contrefaçon (50%) et de 1 million d’euros (67%) pour le parasitisme. L’auteur obtient 1 million d’euros pour l’atteinte à son droit moral résultant de la contrefaçon, pour une demande de 1 500 000 euros (67%). La publication du dispositif de la décision dans trois revues et sur deux sites internet est également ordonnée. La cour justifie ces condamnations par l’ampleur considérable de la campagne publicitaire litigieuse : 2000 diffusions du spot TV, 18 000 affiches, 150 publications presse, 70 visuels placés dans 1500 points de vente. De plus, la campagne a été relancée après le jugement de 1ère instance et le film n’avait auparavant donné lieu à aucune exploitation dérivée à des fins commerciales ou publicitaires. Ces éléments d’appréciation ne donnent aucune indication sur l’étendue des dommages réellement subis, qui semblent évalués forfaitairement. Il n’est pas précisé si ces agissements sont à l’origine de pertes ou de gains manqués pour le producteur ni en quoi le préjudice moral de l’auteur est considérable. Elle ne s’interroge pas sur un éventuel effet bénéfique de la campagne sur l’image du film qui pourrait compenser partiellement ces préjudices. Les conseils Une estimation plus précise des coûts et des résultats de la campagne pour l’opérateur aurait permis de mieux apprécier l’appropriation d’investissements réalisée, de même que le débat sur l’impact de la campagne pour le producteur et l’auteur.Le fait d’avoir relancé la campagne de publicité après le jugement a certainement contribué à la revalorisation des réparations par la Cour. Notes (1) TGI Paris 30/03/2004 (2) CA Paris 4eme ch., 08/09/2004, Publicis Conseil et SFR c. Luc B. et Gaumont Paru dans la JTIT n°45/2005 p.7

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Economie juridique-JP 46

Economie juridique Jurisprudence La résiliation anticipée d’un contrat :Quelles conséquences pour le fournisseur? La résiliation anticipée fautive d’un contrat par le client Ayant commandé le développement d’adaptateurs de terminaux téléphoniques sans fil, pour un prix forfaitaire de plus de 5,5 millions d’euros, associé à une rémunération variable pouvant atteindre 800 000 €, le client résilie le contrat trois mois avant la date de livraison convenue en invoquant des retards de son fournisseur. Le Tribunal de commerce de Paris(1), saisi par le fournisseur, juge cette résiliation fautive et condamne le client à lui payer le solde du prix forfaitaire contractuel, soit 3,2 millions d’euros environ.4Le client ayant fait appel de cette décision, la Cour d’appel de Paris(2) confirme le jugement sur le résiliation fautive, mais rappelle le principe selon lequel le solde du prix contractuel ne peut être dû que lorsque la convention a été exécutée jusqu’à son terme(3). La Cour prononce alors la réouverture des débats pour demander au fournisseur de justifier des coûts engagés et de sa perte de marge. L’enjeu La réparation intégrale des préjudices implique que la victime indemnisée n’enregistre ni perte ni profit. … permet de préciser les principes d’indemnisation du fournisseur L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 septembre 2004(4) statue donc uniquement sur le préjudice du fournisseur constitué des pertes qu’il a subies et de ses gains manqués, chiffrés selon la formule suivante : Coûts engagés dans le cadre de l’exécution du contrat,        + Prix forfaitaire contractuel,        – Coûts de revient totaux qui auraient été supportés jusqu’à la livraison,        – Sommes versées par le client pendant l’exécution du contrat, + 50% de la rémunération variable maximum prévue. Le fournisseur obtient ainsi une réparation de 3 750 000 € environ qui correspond à la marge non réalisée (prix forfaitaire moins les coûts de revient totaux et le prix déjà payé), aux coûts engagés et à une part de la rémunération variable. Le montant de la rémunération variable dûe n’aurait été connu qu’au terme du contrat. Il s’agit donc d’une perte de chance de gain dont la Cour a apprécié la probabilité de réalisation à 50%. La formule énoncée par la Cour laisse subsister certaines interrogations : quels sont les coûts du fournisseur à prendre en compte et comment les évaluer ? En l’espèce, la Cour a retenu la totalité des coûts externes facturés par d’autres fournisseurs, ainsi que 80% des coûts de personnel interne invoqués. La réparation accordée, hors rémunération variable (400 000 €) est en définitive supérieure au solde du prix forfaitaire contractuel, ce qui démontre que le fournisseur obtient une réparation plus élevée que les pertes subies et les gains manqués, ayant manifestement surestimé les unes ou les autres. Les conseils Même en présence de principes d’indemnisation admis, le demandeur dispose d’une marge de manœuvre importante pour démontrer l’étendue des dommages invoqués. – Le défendeur doit exiger une justification comptable des demandes formulées afin d’empêcher l’exploita-tion de cette marge de manœuvre dans le cadre de l’appréciation souveraine du montant des dommages par la juridiction saisie. Notes (1) TC Paris, 15/01/2002, RTX Télécom c. Lucent Technologies France (2) CA Paris, 21/11/2003, Lucent Technologies France c. RTX Télécom (3) Cass. com. 22/10/1996 (4)CA Paris 10/09/2004, Lucent Technologies France c. RTX Télécom Paru dans la JTIT n°46/2005 p.7

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Economie juridique Jurisprudence Peer to Peer: Mesurer le préjudice causé à la filière pour ensuite l’indemniser… Quel est l’impact réel des réseaux P2P sur l’industrie de contenus? L’impact réel des réseaux Peer-to-Peer est un sujet très controversé. Selon le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), les multiples études économiques sur le « taux de substitution » entre la vente de CD et les échanges de contenus en P2P sont peu satisfaisantes et parviennent à des conclusions contradictoires sur l’ampleur des pertes subies (1). Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que le recours à un logiciel de P2P est un moyen de se procurer des copies d’œuvres hors des modes normaux d’exploitation des œuvres que sont l’achat de supports physiques ou l’achat en ligne sur des sites légaux. Or, la reproduction et la communication au public, sans autorisation des ayants droit, par de nouveaux procédés techniques s’apprécie comme « un manque à gagner » pour les ayants droit (producteurs, éditeurs, auteurs, artistes-interprètes etc.). Même si le montant du préjudice n’est pas quantifiable, il est difficilement contestable. L’enjeu Encadrer les formes de distribution des œuvres qui ne permettent pasd’assurer la rémunération de la création et de la production. Le préjudice n’est pris en compte qu’à l’égard d’intérêts légitimes La directive sur les droits d’auteur et les droits voisins du 22 mai 2001 (en cours de transposition en droit français) prévoit que les exceptions au droit d’auteur (notamment copie privée) ne sont licites que si elles ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et si elles ne causent pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur(2). Le juge a le pouvoir de refuser le bénéfice de la restriction au cas par cas, en fonction de ce qu’il considère comme une atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et du préjudice injustifié. Les téléchargements réalisés par le P2P bénéficient-ils de l’exception pour copie privée ? Il y a trop peu de décisions rendues pour répondre à cette question. Le Tribunal de grande instance de Paris a pour sa part, écarté toute possibilité de copie privée pour les œuvres filmographiques commercialisées sur des supports numériques, en retenant que cette copie ne peut « que porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre »(3). Quoi qu’il en soit, il y a un préjudice injustifié si l’auteur ou un autre titulaire de droit (éditeur) n’obtient aucune compensation. Une solution consisterait à s’orienter vers des licences légales. Une proposition de loi allant dans ce sens a été déposée cet été, à l’Assemblée nationale (AN n° 2474). Les solutions La proposition de loi prévoit de compléter les dispositions actuelles des articles L. 311-4 et L. 311-5 du Code de la propriété intellectuelle afin de tenir compte du cas spécifique des échanges entre particuliers à des fins non commerciales (Ass. Nat. n° 2474). Notes (1) Rapport du CSPLA sur le P2P disponible sur www.audionautes.net (2) Art. 5.5 de la directive 2001/29 (3) TGI Paris, 30/04/2004 Paru dans la JTIT n°47/2005 p.7

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Economie juridique – JP TC Paris 16 03 2004

Economie juridique Jurisprudence Pas de réparation du préjudice commercial sans de solides éléments de preuve Une expertise judiciaire et trois années de procédure… La société américaine Cyrano Inc. revendique la propriété de plusieurs logiciels contenus dans des logibox déposées auprès de l’Agence pour la Protection des Programmes par sa filiale française, et remises à un acquéreur dans le cadre de la cession des actifs de cette filiale. L’acquéreur s’estime propriétaire de tous les logiciels contenus dans les logibox et fait séquestrer celles-ci. La société américaine demande alors au Tribunal de commerce de Paris d’ordonner la remise des logibox contenant ses programmes, ainsi que la réparation de ses préjudices, estimés à 400.000 €. Le Tribunal ordonne une expertise afin de l’éclairer sur la propriété des divers logiciels et les dommages subis. Après une année d’expertise, le rapport conclut aux droits de propriété de Cyrano Inc. sur deux des logiciels séquestrés. Pendant la procédure, la société américaine porte le montant de son préjudice commercial à 7.753.587 €, chiffre le coût de reconstitution des codes sources à 22.349 € et ses frais de procédure à 668.659 €, soit au total 8.444.595 €. L’enjeu L’également ceux qui représentent souvent l’enjeux financier le plus important pour le demandeur. … pour 25.000 euros de dommages et intérêts Le Tribunal de commerce de Paris(1) retient les conclusions du rapport d’expertise sur la propriété des deux logiciels et ordonne qu’ils soient restitués. Pour apprécier les préjudices de Cyrano Inc., la décision se réfère aux constats du rapport d’expertise selon lesquels celle-ci a vraisemblablement perdu une partie de sa clientèle en raison des actions menées par la partie adverse, mais sans en avoir rapporté la preuve. Le Tribunal estime donc que les éléments produits ne justifient pas suffisamment et indiscutablement les demandes de réparation, sauf en ce qui concerne les coûts de reconstitution des codes sources et fixe à 25.000€ le montant total des dommages et intérêts. Le demandeur, privé de l’exploitation commerciale de ses logiciels pendant trois ans, et ayant «vraisemblablement» subi également des pertes de clientèle, obtient une réparation qui représente seulement 0,296% de ses demandes. Son préjudice commercial est réparé à hauteur de 2.651 € (25.000 € – 22.349 € justifiés au titre des codes sources), pour une demande de plus de 7,7 millions € (soit 0,034 %). Le défaut de preuve du préjudice commercial coûte cher au demandeur. Il obtient cependant une somme élevée pour couvrir ses frais de procédure (150.000 €), et peut faire appel s’il estime pouvoir mieux justifier son préjudice commercial. Les solutions Il est inutile de formuler des demandes extrêmement élevées si l’on ne peut en rapporter la preuve. Les juridictions peuvent cependant être convaincues de l’importance d’un préjudice par un faisceau d’indices concordants prouvant son existence, son lien avec la faute et son montant, s’il est justifié par une analyse économique et financière solide. Notes TC Paris,16/03/2004,Cyrano Inc.c.Technologies et Quotium Technologies Paru dans la JTIT n°48/2006 p.7

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JP Economie Juridique – juin 2006

Economie Juridique Indemnisation à la baisse dans une affaire de liens commerciaux Le moteur de recherche Google mis en cause une nouvelle fois La société Cartephone qui commercialise des cartes téléphoniques pré-payées, a souscrit au système de référencement payant proposé par Google, en sélectionnant, parmi les mots clés proposés par le moteur de recherche, le terme « Kertel », qui est également la dénomination sociale et la marque d’un concurrent. Un constat d’huissier établi à la demande de la société Kertel en avril 2004 montre que les recherches effectuées à partir du mot clé « Kertel » sur le moteur de recherche, font apparaître un lien publicitaire vers le site de Cartephone. Un autre constat montre que le lien sponsorisé a été supprimé en juillet 2004. La société Kertel assigne son concurrent ainsi que les sociétés Google France et Google Inc. et demande une somme de 120 000 euros de dommages et intérêts pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale. Deux décisions rendues pour des faits similaires en 2005 ont condamné les moteurs de recherche à indemniser les victimes à hauteur de 200 000 euros chacune(1). L’enjeu Obtenir l’indemnisation des préjudices résultant d’actes de contrefaçon ou de concurrence déloyale sur internet, qui peuvent s’avérer substantiels. Une réparation limitée pour des demandes peu justifiées Contrairement aux décisions précédentes, le Tribunal de grande instance de Paris(2) ne retient pas d’acte de contrefaçon à l’encontre de Google, mais il estime que sa responsabilité est engagée au titre des articles 1382 et 1383 du Code civil, pour avoir favorisé l’activité contrefaisante de la société Cartephone, qui est quant à elle condamnée pour contrefaçon et concurrence déloyale. Le Tribunal estime que le préjudice commercial invoqué par Kertel n’est pas démontré. Relevant que les faits litigieux se sont produits sur une courte période (moins de 4 mois), le Tribunal accorde une somme de 30 000 euros de dommages et intérêts à Kertel au titre de l’atteinte portée à sa marque. Il ordonne également la publication de la décision aux frais in solidum des sociétés fautives…. La société Kertel n’a sans doute pas suffisamment documenté ses demandes de réparation. Le Tribunal souligne par exemple qu’elle ne produisait aucun élément pour justifier de sa notoriété, tels que des résultats de sondage, ce qui aurait pu lui permettre d’obtenir une indemnisation plus élevée au titre de l’atteinte portée à sa marque. Le préjudice commercial, lorsqu’il existe, peut être estimé notamment à partir des statistiques de connexion et des ventes réalisées sur internet . Le conseil Il convient de justifier précisément ses demandes ou tout au moins de fournir à la juridiction tous les éléments disponibles permettant d’apprécier l’importance des préjudices subis. Notes (1) TGI Nanterre 17.01.2005, Accor c. Overture (JTIT n°37), et TGI Paris 04.02.2005, Louis Vuitton Malletier c. Google (JTIT n°38). (2) TGI Paris 08.12.2005, Kertel c. Google et Cartephone. Paru dans la JTIT n°49/2006 p.7

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Economie juridique – JP – Indemnisation des préjudices

Economie juridique Tout préjudice dont l’existence est démontrée doit être indemnisé Les conséquences dommageables d’une campagne de dénigrement… Début 2004, les médias font largement état d’une controverse au sujet des risques que présenterait pour la santé, la consommation de saumons d’élevage. Une agence de relation publique diffuse les résultats d’une étude scientifique consacrée à ce sujet, en amplifiant de manière alarmiste les conclusions mesurées de celle-ci. La CITPPM, organisme professionnel représentant notamment des producteurs de saumon fumé, estime que cette diffusion lui cause un préjudice et engage une procédure contre l’agence. L’organisme professionnel considère qu’il doit engager des dépenses de communication afin de rétablir l’image positive du saumon d’élevage dans l’esprit du public. Il justifie avoir engagé 119.600 € de dépenses et évalue à 250.000 € le solde des coûts de communication à supporter. 4Le Tribunal de commerce de Paris (1) considère que l’agence de relation publique a commis un acte de dénigrement engageant sa responsabilité en ajoutant délibérément aux résultats de l’étude des éléments de nature à nuire à l’image du produit dans l’esprit du public. L’enjeu Si les juges du fonds doivent apprécier souverainement l’étendue d’un préjudice dont ils ont reconnu l’existence, le demandeur doit justifier du lien de causalité entre le préjudice invoqué et la faute subie. … non réparées à défaut de preuve du lien de causalité En analysant les statistiques de ventes de saumon fumé, qui révèlent une baisse modérée des ventes, il constate que la CITPPM, a bien subi un préjudice en relation directe avec les actes de dénigrement. Cependant, le tribunal estime que le lien de causalité entre le montant des dépenses de communication invoquées et la faute retenue n’est pas démontré, l’organisme professionnel ayant produit factures et devis correspondants, sans justifier des modalités de réalisation de la campagne. Considérant alors qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour évaluer l’étendue du préjudice, le Tribunal accorde à la CITPPM une réparation symbolique de 1 € de dommages et intérêts, tout en faisant droit à sa demande de publication de la décision dans la presse. Ayant constaté l’existence d’une faute et d’un préjudice causé par celle-ci, le Tribunal doit en principe apprécier souverainement le montant de celui-ci, ou ordonner les mesures d’instruction qu’il estime nécessaires pour éclairer son jugement (2). En l’espèce, ce principe semble avoir été méconnu, dès lors qu’une indemnité symbolique ne saurait réparer les coûts de communication engagés, dont le Tribunal semble avoir admis la nécessité, en reconnaissant ne pas pouvoir apprécier le montant ayant pour origine le dénigrement subi. Le conseil En l’espèce l’organisme professionnel aurait certainement pu obtenir une indemnisation plus conséquente en démontrant que la décision d’engager les dépenses invoquées avait bien pour origine le dénigrement subi et en justifiant précisément de l’objet des dépenses invoquées. Notes (1) TC Paris, 18/02/2005, Confédération des Industries de Traitement des Produits de Pêches Maritimes (CITPPM) c. Equity Conseil Gavin Anderson et Cie. (2) Cass. 3e civ. 06/02/2002 Bertrand Thoré Directeur du Département Economie juridique bertrand-thore@alain-bensoussan.com Paru dans la JTIT n°54-55/2006 p.7

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economie juridique/ JP 63

Economie juridique L’évaluation des préjudices dans le projet de loi de lutte contre la contrefaçon La possibilité d’accorder une indemnisation forfaitaire du dommage Le projet de loi de lutte contre la contrefaçon, déposé au Sénat le 12 février 2007 (1), vise notamment à transposer en droit français la directive européenne sur le respect des droits de propriété intellectuelle (2) et prévoit d’introduire plusieurs mesures relatives à l’évaluation et à la preuve du préjudice résultant d’actes de contrefaçon, dans le cadre des procédures judiciaires. Les dispositions prévues en matière d’évaluation de préjudices sont les mêmes pour tous les domaines de la propriété intellectuelle (brevets, marques, propriété littéraire et artistique, etc.) et comportent des innovations importantes pour le droit français de la responsabilité civile, comme le souligne l’exposé des motifs du projet. Conformément à la Directive, elles donneraient en effet au juge la possibilité d’accorder une indemnisation forfaitaire à la victime d’un dommage résultant d’une contrefaçon, dans les cas « appropriés ». Jusqu’à présent l’évaluation forfaitaire était considérée comme incompatible avec le principe de la réparation intégrale des dommages, qui découle de l’article 1382 du Code civil et constitue l’un des fondements de notre droit de la responsabilité civile. La réparation vise à replacer la victime dans la situation qu’elle aurait dû connaître si elle n’avait pas subi le dommage, sans perte ni profit. Une évaluation forfaitaire ne permet pas d’atteindre cet objectif dès lors qu’elle est par définition sans lien direct avec le dommage réel. L’évaluation forfaitaire des dommages est régulièrement sanctionnée par la Cour de cassation (3). L’enjeu Ce texte donnerait au juge la possibilité d’accorder, dans certains cas, à titre d’alternative, une indemnisation forfaitaire à la victime d’un dommage résultant d’une contrefaçon. Cette indemnité ne pourrait être inférieure « au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il porte atteinte » et n’aurait pas de limite supérieure. Les modalités de calcul de ce montant ne sont pas précisées, et il pourrait s’avérer en pratique aussi délicat à chiffrer que le préjudice réel de la victime, dont il constitue souvent l’une des principales composantes. En effet, ce montant ne peut être évalué sans disposer d’informations que l’auteur de la contrefaçon est généralement le seul à détenir. Le projet innove à cet égard en prévoyant de donner au juge la possibilité d’ordonner au contrefacteur de produire les informations sur les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées et sur les prix obtenus. Le juge devra prendre en considération, pour son évaluation, lorsqu’elle n’est pas forfaitaire, tous les « aspects appropriés ». Trois éléments d’appréciation sont cités à ce titre, de manière non limitative : les conséquences économiques négatives pour la victime (manque à gagner), les bénéfices injustement réalisés par le contrefacteur, et, s’il y a lieu, le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte.Ces éléments d’appréciation sont déjà utilisés par les juridictions. Ces précisions permettront cependant aux demandeurs de mieux cibler leurs prétentions et pourraient avoir un effet dissuasif sur les auteurs de contrefaçons. Les principes Cette dérogation au principe de la réparation intégrale aurait pour effet de limiter la portée d’un autre principe de la responsabilité selon lequel celui qui demande la réparation d’un dommage doit en rapporter la preuve. (1) www.alain-bensoussan.com/pages/1067 (2) Directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 (3)Cass. civ. 8 juin 2006, pourvoi n°04-19069 Paru dans la JTIT n°63 p.8

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Economie juridique Jurisprudence contrat d’integration

Economie juridique Les conséquences de la résiliation d’un contrat d’intégration de système Résiliation aux torts du client en première instance En 1997, la société Nouvelle Allium a conclu avec la société Bull un contrat d’intégration de système de gestion intégré à base de progiciel. En tant que maître d’œuvre du projet, l’intégrateur s’est engagé à une obligation de résultat sur la conformité de la solution aux besoins exprimés par le maître d’ouvrage et a garanti que la solution atteindrait les performances attendues. Lors de la mise en exploitation du système de gestion des stocks dans un entrepôt du client, fin 1998, le fonctionnement de celui-ci est paralysé. Les parties conviennent de poursuivre leur collaboration pour résoudre les dysfonctionnements, mais, peu après, le client annonce la résiliation immédiate du contrat, sans respecter la procédure contractuelle. Saisi de ce litige, après expertise judiciaire, le Tribunal de commerce de Paris(1) a condamné le client à régler les factures impayées de l’intégrateur, soit une somme de 1.078.395 euros, avec intérêts au taux contractuel (8,60%) à compter de la date d’échéance des factures, et capitalisation des intérêts. A la date du jugement, assorti de l’exécution provisoire, les intérêts capitalisés représentaient une somme d’environ 700.000 euros. L’enjeu L’intégration d’un ERP présente des enjeux et des risques très importants que l’intégrateur et le client doivent précisément mesurer et piloter. Torts partagés et lourde condamnation de l’intégrateur en appel La Cour d’appel de Paris retient une solution différente(2). Si elle considère que le client a commis des fautes génératrices de son préjudice en décidant de mettre en exploitation le système de manière prématurée et précipitée, contre l’avis de l’intégrateur, puis en résiliant brutalement la convention, elle retient aussi de graves manquements du maître d’œuvre à son obligation de garantir la performance du système. L’arrêt prononce donc la résiliation du contrat aux torts réciproques des deux parties et examine leurs demandes d’indemnisation. Pour chiffrer les préjudices du client (+ de 13 millions d’euros demandés), l’arrêt se fie aux conclusions du rapport d’expertise. Il retient un montant de 5.333.279 euros comprenant principalement les coûts de mise en œuvre du projet (1.038 K€) et de formation (285 K€), les coûts de licence et de maintenance du progiciel (230 K€), la perte de marge due au blocage de l’entrepôt (2.517 K€), ainsi que des pertes commerciales (309 K€), des charges financières (121 K€), des frais de personnel exceptionnel (152 K€) et permanent (249 K€) et les coûts d’adaptation de l’ancien système (305 K€). Le préjudice invoqué par l’intégrateur (951.155 €) est retenu intégralement sans discussion, car sa demande est d’un montant inférieur au montant retenu par le rapport d’expertise. Compte tenu de l’infirmation du jugement sur la résiliation au tort unique du client, le paiement du solde des factures et des intérêts est également infirmé, sans que ce point ne soit réellement débattu. En vertu du partage de responsabilité retenu (50%/50%), le client obtient une réparation de 2.666.640 euros et l’intégrateur 475.791 euros (alors que 951.155 € / 2 = 475.578 €), soit 2.190.849 euros au profit du client. L’intégrateur doit en outre restituer la somme de 1.876.798 euros perçue en exécution du jugement et doit donc verser la somme de 4.067.647 euros. Les conseils Dans le cadre de la gestion de la procédure et de la formulation des demandes financières, les parties doivent tenir compte du caractère déterminant des conclusions du rapport d’expertise judiciaire sur les préjudices, pour l’appréciation, par la juridiction, des réparations à accorder, surtout lorsque les dommages sont complexes à chiffrer et atteignent des sommes élevées. (1) TC Paris 20 novembre 2003, Bull c. Nouvelle Allium. (2) CA de Paris, 25eme Ch., 28 avril 2006, Nouvelle Allium c. Bull. Paru dans la JTIT n°64/2007 p.8

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Economie juridique – Projet de lutte contre la contrefaçon

Economie juridique Le projet de loi de lutte contre la contrefaçon et l’évaluation des préjudices (suite…) Des mesures visant une meilleure réparation des préjudices Le projet de loi de lutte contre la contrefaçon, du 12 février 2007 (1), qui vise à transposer en droit français la directive européenne sur le respect des droits de propriété intellectuelle (2) a été adopté par le sénat le 19 septembre dernier. Il est à présent soumis à l’Assemblée nationale. Ce texte précise les éléments que le juge devra prendre en considération pour évaluer le préjudice résultant de la contrefaçon (3) : « les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte. » En outre, le juge pourrait ordonner au contrefacteur de produire les informations sur les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées et sur les prix obtenus. A titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, les juridictions saisies auraient la possibilité d’accorder, à titre de dommages et intérêts, une somme forfaitaire qui ne pourrait être inférieure « au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il porte atteinte ». Selon le préambule de la Directive, ces dispositions sont destinées à améliorer la réparation du préjudice résultant de la contrefaçon. L’enjeu Ainsi, ces dispositions ont surtout pour objet de renforcer des dispositions existantes et leur effet dissuasif, notamment en instituant une réparation forfaitaire. Dont la portée pratique pourrait s’avérer limitée … Le manque à gagner de la partie lésée, les bénéfices du contrefacteur et le préjudice moral font déjà partie des éléments d’appréciation du préjudice examinés par le juge, lorsque la victime à qui il appartient de démontrer ses dommages, est en mesure de les chiffrer et formule des demandes à ce titre. Le juge civil dispose déjà de la possibilité d’ordonner aux parties ou à des tiers, de produire les éléments de preuve requis, en vertu des articles 11 et 138 du Nouveau code de procédure civile. Ces dispositions sont peu utilisées pour rapporter la preuve des dommages subis. Les juges du fond accordent déjà régulièrement, en matière de contrefaçon, des indemnisations « forfaitaires » (4), c’est-à-dire dont le montant ne résulte pas d’une évaluation précise et justifiée des dommages, en se gardant toutefois de les qualifier ainsi, dès lors que la Cour de cassation sanctionne l’utilisation de ce terme, contraire au principe de la réparation intégrale (5). La principale innovation du projet consiste donc à fixer un plancher pour la réparation forfaitaire, correspondant aux redevances que la victime aurait dû percevoir si elle avait autorisé l’exploitation de ses droits. Mais le chiffrage du préjudice résultant de la contrefaçon nécessite de connaître la masse contrefaisante (quantité produite ou distribuée par le contrefacteur) d’une part, et des informations relatives au modèle économique de la victime (mode d’exploitation de ses droits, prix, taux de redevance, marge…), d’autre part. Le chiffrage du montant des redevances qui auraient été perçues requière, au minimum, les mêmes informations. Or, la victime de la contrefaçon est réticente à fournir ce type d’informations relevant des secrets commerciaux. Le projet aurait utilement pu renforcer les moyens permettant d’assurer cette protection. Les conseils La réparation forfaitaire, fondée sur des éléments qui resteront difficiles à justifier et à apprécier, pourrait favoriser le caractère arbitraire de certaines condamnations alors que la meilleure garantie d’indemnisation pour la victime, reste l’évaluation et la justification précise de chacun de ses dommages. (1) Projet de loi du 12 février 2007 (2) Directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 (3) Voir Juristendances Informatique et Télécommunications n°63/2007 (4) CA Paris 13eme Ch. 17 janvier 2007, Chanel, Céline et autres ; CA Versailles 2 novembre 2006, Accor c. Overture ; CA Paris, 4eme Ch. 28 juin 2006, Google c. Louis Vuitton Malletier (5) Cass. Civ. 3, 8 juin 2006 n°04-19.069 Paru dans la JTIT n°69/2007 p.7

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Economie juridique Rupture de contrat d’externalisation

Economie juridique Une coûteuse rupture anticipée de contrat d’externalisation Une résiliation anticipée pour manquements contractuels… La société Integris a confié la gestion de ses activités d’éditique à la société Datapost, dans le cadre d’un contrat d’externalisation, conclu pour une durée minimum de cinq ans. La rémunération de Datapost comprend un prix forfaitaire annuel garanti, correspondant à un volume minimum de prestations, et un prix complémentaire proportionnel aux prestations fournies au delà de ce minimum. Près de quatre ans après l’entrée en vigueur du contrat, Integris le résilie en invoquant différents manquements de son prestataire. Datapost conteste les conditions de cette résiliation, mais elle collabore à l’organisation de la réversibilité et poursuit la fourniture des prestations qui lui sont confiées dans le cadre de cette phase, qui s’achève dans le mois précédant l’échéance contractuelle initialement fixée. Cependant Integris ne lui verse pas le forfait annuel garanti mais uniquement le prix prévu pour les prestations réalisées au delà du volume minimum annuel. Le Tribunal de commerce de Bobigny, saisi par Datapost, a débouté les deux parties de toutes leurs demandes et Datapost a fait appel de la décision (1). La Cour d’appel de Paris juge, au contraire, que les conditions dans lesquelles Integris a prononcé la résiliation anticipée du contrat sont irrégulières, les dispositions contractuelles de résiliation pour manquement de l’une des parties n’ayant pas été respectées (2). L’enjeu La qualification précise des demandes financières conditionne en principe leur recevabilité et participe à la détermination de leur montant. Sanctionnée à défaut de respect de la procédure de résiliation En conséquence, la décision retient qu’Intégris est bien débitrice des forfaits prévus jusqu’au terme du contrat et accorde à Datapost la somme qu’elle demandait au titre du forfait annuel garanti, soit 709.034 €, ainsi que le montant de 181.058 € demandé au titre des pénalités contractuelles de retard de paiement, soit un montant total de 890.093 € . Pour ordonner le paiement du solde du prix forfaitaire jusqu’au terme du contrat, assorti des intérêts contractuels de retard de paiement, la décision doit, en principe, se fonder sur l’exécution des prestations contractuelles jusqu’au terme du contrat. En effet, la cour de cassation a posé le principe selon lequel, en cas de rupture anticipée d’un contrat, le solde du prix n’est dû que lorsque la convention a été exécutée jusqu’à son terme (3). A défaut, la victime de la rupture peut être indemnisée du préjudice découlant de la rupture, égal à la marge non réalisée, mais ne peut percevoir le solde du prix (4). En l’espèce, la décision ne précise pas si les prestations ont été fournies jusqu’au terme effectif des cinq ans, ni si Datapost a bien exécuté les obligations contractuelles souscrites en contrepartie du paiement du prix forfaitaire, jusqu’à cette date, dans le cadre de la phase de réversibilité. Ces précisions auraient également permis d’apprécier le ben fondé de la condamnation prononcée au titre des pénalités contractuelles de retard de paiement, qui, elles aussi, ne pouvaient être dues qu’en cas d’exécution complète de la convention par Datapost. Dans le cas contraire, la condamnation aurait dû se limiter à des intérêts calculés au taux légal et non selon les dispositions contractuelles sanctionnant plus lourdement le retard de paiement. Les conseils Le demandeur doit donc s’attacher à donner la qualification adéquate à ses demandes d’indemnisation, alors que le défendeur doit souligner toute imprécision ou toute erreur de qualification à cet égard. (1) Tribunal de commerce de bobigny , 7 novembre 2002 (2) CA Paris 5eme Ch. 26 avril 2007 Aspheria (venant aux droits de Datapost) c. Bull (venant aux droits d’Integris) (3) Cass. com. 22 octobre 1996 (4) CA Paris 25eme Ch. 10 septembre 2004, Lucent Technologies c. RTX. Paru dans la JTIT n°70/2007

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