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Précisions sur la notion d’autorité de la chose jugée

Par arrêt du 16 avril 2015, la Cour de cassation précise les conditions de l’autorité de la chose jugée (c’est-à-dire les effets attachés à une décision de justice) telles qu’énoncées par le Code civil. Le principe de la décision. Ayant exercé diverses fonctions en entreprise puis dans une administration depuis, M. X a sollicité, pour la seconde fois auprès du conseil de l’ordre, son admission au barreau de Saint-Denis, invoquant, pour ce faire, le bénéfice des dispenses de formation prévues pour les juristes d’entreprise. Le conseil de l’ordre ayant, à nouveau, rejeté sa demande par délibération du 19 octobre 2012, M. X a formé un recours à l’encontre de celle-ci. Confirmant la décision du conseil de l’ordre, la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion a considéré qu’ayant déjà été jugé, par décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, que la condition d’une expérience professionnelle juridique d’au moins huit années n’était pas remplie, seules les expériences professionnelles non invoquées dans l’instance antérieure ou postérieure à celle-ci pouvaient être prises en compte. Considérant que l’autorité de la chose jugée, attachée au seul dispositif de la décision, ne pouvait être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel au visa de l’article 1351 du Code civil. Les conséquences. En vertu de l’article 1351 du Code civil, l’autorité de la chose jugée s’oppose à l’introduction d’une nouvelle demande fondée sur la même cause entre les mêmes parties. Au motif que la demande nouvelle formée par M. X reposait sur la survenance d’un élément postérieur à la décision du Conseil de l’ordre modifiant de ce fait sa situation, la Cour de cassation a considéré que les faits à l’origine de la nouvelle demande (cause de la nouvelle demande) étant différents de ceux de la demande initiale, l’autorité de la chose jugée ne pouvait lui être opposée. Ce faisant, elle se positionne en faveur d’une conception étroite de l’autorité de la chose jugée (à la différence d’autres décisions retenant une conception large) visant certes à créer une certaine instabilité des situations juridiques, mais traduisant sa volonté d’assurer une bonne administration de la justice et le respect du principe du contradictoire. A toutes fins utiles, cet arrêt ne vise que les décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée, à l’exclusion des décisions de référé, des ordonnances sur requête, des décisions du juge ou du conseiller de la mise en état, des jugements avant dire droit ainsi que des décisions ordonnant le rabat de l’ordonnance de clôture, la réouverture des débats et le sursis à statuer. Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot Alexandra Massaux Lexing Contentieux informatique

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Autorité de la chose jugée et revirement de jurisprudence

Par décision du 17 mars 2015, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est prononcée sur la recevabilité d’une demande déjà présentée et jugée mais qui depuis lors avait fait l’objet d’un revirement de jurisprudence. Le principe de la décision. Le requérant de l’espèce s’était pourvu en justice afin de mettre un terme au prêt à usage dont bénéficiaient les occupants de l’immeuble dont il était nu propriétaire et usufruitier. En 2002, il avait été débouté de sa demande fondée sur le défaut d’entretien de l’immeuble. Estimant que cet arrêt était conforme à la jurisprudence en vigueur, le requérant ne s’était pas pourvu en cassation. En 2004, la Cour de cassation avait fait évoluer sa jurisprudence en énonçant qu’un prêt à usage indéterminé pouvait être unilatéralement résilié à tout moment. Le requérant avait alors assigné à nouveau les époux V. en demandant la résiliation du prêt toujours pour défaut d’entretien (et non en application du nouveau principe autorisant un prêteur à mettre fin unilatéralement à un prêt à usage à durée indéterminée). La Cour de cassation avait rejeté le pourvoi en raison de l’autorité de la chose jugée de l’article 1351 du Code civile selon laquelle la chose jugée par un jugement antérieur fait autorité à l’égard d’une nouvelle demande fondée sur la même cause et en présence d’une identité des parties et de l’objet. Devant la CEDH, le requérant invoquait la violation de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme au motif qu’il s’était vu privé du bénéfice du revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation. La CEDH a estimé que le requérant n’a pas été privé de sa possibilité de bénéficier du revirement de jurisprudence dans la mesure où sa seconde demande n’était pas fondée sur ce nouveau fondement juridique mais sur sa demande initiale. La motivation de la décision. Depuis 7 juillet 2006 la Cour de cassation a consacré le principe de la concentration de moyens. En application de ce principe le demandeur est tenu de présenter dès la première instance l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder sa demande. En application de ce principe, la Cour de cassation a légitimement pu juger que le demandeur qui ne fonde pas dès la première instance sa requête sur le revirement de jurisprudence dont il souhaite bénéficier, mais uniquement sur une motivation qui a d’ores et déjà été jugée par une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, ne peut voir sa demande prospérer. La CEDH a considéré que le principe de la concentration des moyens poursuit un but légitime, en conséquence de quoi le demandeur de l’espèce n’avait pas été privé du droit de bénéficier du revirement de jurisprudence dans la mesure où il n’avait pas fondé sa deuxième demande sur le droit issu de ce revirement. Le demandeur à une instance qui concerne les mêmes parties, le même objet et qui a déjà fait l’objet d’une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée ne peut bénéficier d’un revirement de jurisprudence ultérieur que s’il fonde sa nouvelle demande sur ledit revirement. Sinon sa demande sera déclarée irrecevable en application du principe de l’autorité de la chose jugée. Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot Lexing Contentieux informatique

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Audit de licences Oracle et action en contrefaçon

Le TGI de Paris a rendu sa réponse concernant le conflit qui opposait l’AFPA à la société Oracle sur l’audit de licences lancé par l’éditeur : l’utilisation d’un logiciel hors du périmètre des droits cédés ne peut faire l’objet d’une action en contrefaçon, mais seulement d’une action en responsabilité contractuelle. En 2002, l’AFPA (Association Nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes) a attribué un marché de fourniture de services informatiques à la société Sopra Group, elle-même prestataire agréée de la société Oracle. En 2005, à la fin du marché, la société Oracle reprend l’ensemble des contrats et organise un premier audit de licences, puis un second, qui révèle, selon Oracle, que l’AFPA utilise 885 licences du logiciel Purchasing non compris dans le « pack » logiciel objet du marché de 2002. Les sociétés Oracle Corporation, Oracle International Corporation et Oracle France assignent l’AFPA pour contrefaçon de logiciel. L’AFPA fait remarquer que le logiciel Purcahsing est bien compris dans la suite logicielle objet du contrat de 2002, et si tel n’est pas le cas, le contrat a néanmoins été exécuté de bonne foi par elle puisque le logiciel Purchasing a été installé sur son système par la société Sopra, intégrateur mandaté par Oracle, et appelée en garantie par l’AFPA. Le tribunal juge que le litige entre les parties ressort exclusivement du champ de la responsabilité contractuelle et déclare les sociétés Oracle Corporation et Oracle International irrecevables pour défaut d’intérêt à agir, ainsi qu’Oracle France, les demandes de cette dernière étant prescrites (1). Le Tribunal retient que l’AFPA n’a pas réalisé elle-même l’installation du module litigieux, et qu’Oracle ne soutient pas que le module litigieux ait été « cracké ». En cela, le tribunal se place visiblement dans le sillon de jurisprudences récentes en matière de licence de logiciels, qui considèrent qu’il n’y a pas atteinte au droit d’auteur, mais simple non-respect d’une obligation contractuelle de ne pas faire, lorsque l’utilisateur légitime d’un logiciel procède à une modification du périmètre d’utilisation de celui-ci sans l’accord de l’éditeur. Cette solution n’est pas entièrement satisfaisante en l’espèce, dans la mesure où les contrats de licence ne semblent pas faire référence au module Purchasing, empêchant par conséquent de considérer l’AFPA comme un utilisateur légitime de ce module. En l’espèce le reproche adressé par Oracle à son client semble plus tenir à l’utilisation sans licence d’un module qu’à un dépassement de la capacité d’utilisation. La motivation du Tribunal, à propos du droit d’utilisation du module Purchasing par l’AFPA, peut surprendre, dès lors qu’il estime que l’installation du module Purchasing sur le système de l’AFPA signifie que cette dernière dispose des droits pour l’utiliser. Une telle approche est difficilement conciliable avec les dispositions de l’article L122-7 du Code de la propriété intellectuelle (2) ou encore de celles de l’article L111-3 (3). L’assimilation de la livraison du module litigieux au transfert d’un droit d’utilisation sur celui-ci reviendrait alors à créer une présomption de cession pour les licences de logiciels marquant ainsi une singularité supplémentaire pour cette catégorie d’œuvre. En pratique, la majorité des logiciels de type « ERP » sont fournis avec l’intégralité des modules sans que les droits d’utilisation soient concédés pour tous les modules livrés. Aussi, le tribunal n’a-t-il pas simplement voulu sanctionner le comportement abusif d’Oracle, qui a fait pression sur son licencié en réalisant un audit de licences peu avant le renouvellement du marché afin d’en obtenir l’attribution. Oracle n’ayant pas été retenu, elle a d’ailleurs notifié à l’AFPA les conclusions de l’audit de licences et initié par là-même le présent litige. La portée de la présente décision est à relativiser et la position de la Cour d’appel de Paris sera analysée avec beaucoup d’attention. Un contrat de licence, tout particulièrement lorsqu’il porte sur des produits ou services informatiques complexes, doit envisager avec précision l’ensemble des droits cédés, ainsi que le périmètre d’utilisation. Benoit de Roquefeuil Martin Leny Lexing Contentieux informatique (1) TGI Paris, 3ème ch. 1ère sect. 6-11-2014 (2) Démembrement du droit d’exploitation et interprétation stricte des cessions de droits. (3) Selon cet article, la propriété incorporelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel.

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