Consécration de la dualité des régimes de géolocalisation

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Le 27 février 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a distingué deux régimes applicables aux données de géolocalisation en fonction de la technique mise en œuvre permettant cette géolocalisation (1).

En effet, la chambre criminelle a séparé la géolocalisation des voitures et celle de la ligne téléphonique. Cependant, la différence de traitement ne résulte pas d’une différence d’objet mais résulte de la différence des techniques employées pour mettre en œuvre la géolocalisation sur ces objets.

Faits et procédures de l’affaire

Consécration de la dualité des régimes de géolocalisation

Dans la présente affaire, un homme a été soupçonné d’être impliqué dans des collectes d’argent en relation avec un trafic de produits stupéfiants.

Une enquête a été ouverte pour donner suite à cette affaire. Les enquêteurs ont reçu l’autorisation du procureur de la République pour présenter des réquisitions de délivrance d’information à des opérateurs privés de téléphonie. En parallèle, ils ont aussi reçu l’autorisation de géolocaliser le téléphone du suspect, ainsi que deux véhicules du suspect.

Le juge des libertés et de la détention a aussi donné son feu vert pour la mise en place d’écoutes téléphoniques dans le cadre de cette enquête.

Le 24 août 2021, une information judiciaire a été ouverte pour des soupçons de blanchiment aggravé et d’association de malfaiteurs.

Le suspect a été mis en examen et a demandé l’annulation de certaines pièces de la procédure.

Cependant, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Lyon a rejeté ses demandes, ce qui a conduit le mis en examen à former un pourvoi en cassation.

Détails du pourvoi en cassation

Consécration de la dualité des régimes de géolocalisation

Le pourvoi est composé de quatre moyens. Les aspects de l’arrêt du 27 février 2024 nous intéressant particulièrement sont liés au deuxième moyen, relatif aux opérations de géolocalisation en temps réel du téléphone et des voitures. Les autres moyens sont quant à eux relatifs au régime des réquisitions adressées à des personnes privées, aux interceptions téléphoniques et à la prolongation des investigations en phase d’instruction.

Donc, selon le second moyen du pourvoi, le procureur de la République ne pouvait pas valablement autoriser les mesures de géolocalisation ordonnées en l’espèce.

En effet, en application de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et plus particulièrement de sa décision Prokuratuur du 2 mars 2021 (2), le représentant du ministère public ne peut pas autoriser l’accès d’une autorité publique aux données de communications électroniques d’un suspect, notamment celles relatives au trafic et aux données de localisation, sous réserve des procédures visant à la lutte contre la criminalité grave ou la prévention de menaces graves contre la sécurité publique.

Pour ladite Cour, « l’exigence d’indépendance à laquelle doit satisfaire l’autorité chargée d’exercer le contrôle préalable […] impose que cette autorité ait la qualité de tiers par rapport à celle qui demande l’accès aux données, de sorte que la première soit en mesure d’exercer ce contrôle de manière objective et impartiale, à l’abri de toute influence extérieure ». Elle ajoute que, « en particulier, dans le domaine pénal, l’exigence d’indépendance implique […] que l’autorité chargée de ce contrôle préalable, d’une part, ne soit pas impliquée dans la conduite de l’enquête pénale en cause et, d’autre part, ait une position de neutralité vis-à-vis des parties à la procédure pénale ». Elle estime bien logiquement que « tel n’est pas le cas d’un ministère public qui dirige la procédure d’enquête et exerce, le cas échéant, l’action publique ».

Dans la recherche de conciliation entre la protection des données à caractère personnel et de la vie privée, d’une part, et les nécessités d’une procédure pénale, d’autre part, la CJUE n’exclut pas l’accès aux données relatives aux communications électroniques d’un suspect. Elle en limite cependant, sous le contrôle d’une autorité publique indépendante, la possibilité « à des procédures visant à la lutte contre la criminalité grave ou la prévention de menaces graves contre la sécurité publique »

Cette solution a été reprise par la chambre criminelle de la Cour de cassation (3).

Pour traiter le second moyen de ce pourvoi, la chambre criminelle a donc séparé la géolocalisation des voitures et celle de la ligne téléphonique. Elle a estimé que le moyen visant la géolocalisation de véhicules était inopérant, tandis que celui sur la ligne téléphonique a entraîné la cassation de l’arrêt. La différence de traitement résulte de la différence des techniques employées pour mettre en œuvre la géolocalisation.

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Cadre légal de la géolocalisation en temps réel en France

Consécration de la dualité des régimes de géolocalisation

L’article 230-32 du code de procédure pénale précise qu’il peut être recouru « à tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national, d’une personne, à l’insu de celle-ci, d’un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur », sous certaines réserves dont notamment si cette opération est exigée par les nécessités « d’une enquête ou d’une instruction portant sur un crime ou sur un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement ».

Cependant, le terme « tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel » est peu clair. Selon un rapport du Sénat de 2014 (4), cette définition recouvre à la fois « la localisation en temps réel du terminal de communication détenu ou utilisé par une personne, ce qui permet de localiser celle-ci, et la localisation d’une balise GPS posée sur un objet ou, ce qui est le cas le plus fréquent, sur un véhicule ».

En pratique, il en existe donc deux moyens techniques :

  • • le suivi en temps réel du véhicule via un dispositif de téléphonie mobile ; et,
  • • la pose de balises sur le véhicule.

Géolocalisation via ligne téléphonique

L’utilisation d’une ligne téléphonique par un suspect implique, de facto, l’utilisation d’un réseau de communications électroniques ainsi que de services de communications électroniques.

Dès lors, les opérateurs de communications électroniques fournissant leurs services au suspect sont engagés dans le processus.

Or ceux-ci sont tenus aux obligations particulières que leur statut leur impose. Ces obligations, portées par la directive vie privée et communications électroniques (5) et transposées dans le Code des communications électroniques français (CPCE), concernent notamment l’obligation de conserver les données de localisation de leurs clients.

A ce titre, les enquêteurs peuvent demander un suivi en temps réel à l’opérateur, par l’intermédiaire de la Plateforme nationale des interceptions judiciaires (6).

Or, il s’agit de réquisitions de données de localisation à un opérateur de téléphonie, qui sont donc des réquisitions judiciaires entrant bien dans le champ d’application de la directive vie privée et communications électroniques précitée et donc du CPCE. De même, les apports de la décision Prokuratuur sont donc applicables.

Il convient de noter, qu’il est aussi possible de retrouver le positionnement passé d’un utilisateur, grâce à un relevé des différentes bornes téléphoniques en lien avec l’appareil. Dans cette hypothèse, il s’agit d’une géolocalisation en temps différé, et non en temps réel, qui, dès lors, ne relève pas du champ d’application des articles 230-32 et suivants du code de procédure pénale.

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Géolocalisation via balise GPS

En règle générale, la géolocalisation d’un véhicule se fait par balise GPS, car l’article 230-33 du code de procédure pénale permet d’autoriser des enquêteurs à accéder à des lieux privés, comme un garage, pour procéder à la pose d’une balise.

De même, il serait envisageable pour les enquêteurs de poser un balise GPS sur le téléphone mobile du suspect.

Dans ces situations, les opérateurs de communications électroniques ne sont plus impliqués dans le processus de géolocalisation du suspect, puisque ce ne sont pas les services de communications électroniques fournis à ce dernier qui sont utilisés, mais la connectivité de la balise GPS.

Dès lors, il n’y a pas lieu d’appliquer ni la directive, ni le CPCE, ni les apports de la décision Prokuratuur.

Pour cette forme de géolocalisation, il faut seulement se référer aux articles 230-32 et suivants du code de procédure pénale, qui permettent incontestablement au procureur de la République d’autoriser une géolocalisation.

Décision de la Cour de cassation

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L’acte d’enquête n’est susceptible d’annulation que s’il a causé un grief à celui qui invoque son irrégularité. Il faut pour cela montrer que l’accès aux données n’a pas été circonscrit à une procédure relevant de la lutte contre la criminalité grave ou a excédé les limites du strict nécessaire.

Dans la décision Prokuratuur, la qualité d’autorité de contrôle était déniée aux représentants du ministère public en raison de leur implication dans la conduite de l’enquête et leur absence de neutralité vis-à-vis des parties. En l’espèce, la chambre de l’instruction a tenté d’établir que les exigences européennes ne s’opposaient pas à ce que le procureur autorise les réquisitions de données de connexion lorsqu’il perd la direction des investigations et le pouvoir de saisir une juridiction de jugement au cours de la procédure en décidant de l’ouverture d’une information judiciaire.

La Cour de cassation n’a pas adhéré à cette motivation, au motif que même s’il perd une partie de ses prérogatives en phase d’instruction, il n’en reste pas moins que le procureur de la République n’est pas neutre, et a donc cassé l’arrêt.

Il reviendra donc à la cour d’appel de renvoi d’apprécier si la géolocalisation a causé un grief dans les conditions précédemment indiquées.

Implications pour les véhicules connectés

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Comme expliqué plus haut, les différents régimes de géolocalisation ne dépendent pas de l’objet ciblé, mais de la technique mise en œuvre.

En particulier, un véhicule connecté est un véhicule disposant de systèmes de communication embarqués qui permettent des communications sans fil avec l’environnement.

Dans certains cas, une liaison avec Internet existe ; cette connexion pouvant s’effectuer via un réseau de téléphonie mobile grâce à un équipement intégré au véhicule (comme une carte SIM ou une carte e-SIM par exemple).

En conséquence, pour les véhicules bénéficiant d’une connexion permanente à internet, il est donc possible de les géolocaliser grâce à une réquisition judiciaire des données de connexion en temps réel, auprès des opérateurs de communications électroniques.

Dans un paysage technologique et législatif en constante évolution, la géolocalisation en temps réel est devenue un sujet crucial dans le secteur des télécommunications en France. En effet, les entreprises opérant dans ce domaine se trouvent confrontées à des défis juridiques complexes, notamment en ce qui concerne la protection des données personnelles et le respect de la vie privée des individus. Dans ce contexte, faire appel à un professionnel du droit spécialisé en droit des nouvelles technologies est essentiel. Un avocat expérimenté peut fournir une expertise pointue pour naviguer à travers les réglementations en vigueur, élaborer des politiques de conformité robustes, et fournir des conseils stratégiques pour minimiser les risques juridiques. En investissant dans une consultation juridique spécialisée, les entreprises peuvent non seulement assurer leur conformité réglementaire, mais aussi renforcer leur réputation en tant qu’acteurs responsables et respectueux de la vie privée.

(1) Crim. 27 févr. 2024, FS-B, n° 23-81.061.
(2) CJUE 2 mars 2021, H. K. c/ Prokuratuur, aff. C-746/18.
(3) Crim. 12 juill. 2022, nos 21-83.710, 21-83.820 et 21-84.096.
(4) Rapport n°284, enregistré à la Présidence du Sénat le 15 janvier 2014.
(5) Directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques.
(6) Article 230-45 du code de procédure pénale.

Frédéric Forster

Avocat directeur du Pôle Constructeurs informatiques & Télécoms

Carl Buffière

Consultant

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