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Acceptation de la preuve illicite ou obtenue de manière déloyale

Le 22 décembre 2023, dans l’affaire n° 20-20.648, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation effectue un revirement de jurisprudence et reconnaît la possibilité, pour une partie, d’utiliser une preuve illicite ou obtenue de manière déloyale (1). La singularité de l’affaire réside dans le fait qu’aucune autre preuve ne permettait de démontrer la faute commise par le salarié. Lire la suite Le cas d’espèce Acceptation de la preuve illicite ou obtenue de manière déloyale Licencié pour avoir commis une faute grave, un salarié conteste ce licenciement devant le Conseil de prud’hommes puis la Cour d’appel d’Orléans (2). L’employeur verse aux débats, afin d’établir la faute du salarié, l’enregistrement sonore d’un entretien au cours duquel il tient des propos ayant motivé son licenciement. Cet enregistrement a été réalisé à l’insu du demandeur. Selon la Cour d’appel d’Orléans, cette preuve était irrecevable car l’enregistrement été réalisé de manière déloyale. Le licenciement avait par conséquent été jugé sans cause réelle et sérieuse. L’employeur forme alors un pourvoi en cassation. La question à laquelle devait répondre la Cour est celle de savoir si la preuve obtenue par l’enregistrement d’entretiens entre l’employeur et le salarié, réalisé à l’insu de ce dernier, est recevable. LA POSITION ANTÉRIEURE DE LA COUR DE CASSATION Acceptation de la preuve illicite ou obtenue de manière déloyale Depuis longtemps, la position de la Cour de cassation était fondée sur l’irrecevabilité de la production d’une preuve recueillie à l’insu de la personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème. Cette solution de 2011 repose sur le fait que : « la justice doit être rendue loyalement au vu de preuves recueillies et produites d’une manière qui ne porte pas atteinte à sa dignité et à sa crédibilité » (3). La présente décision de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du Code de procédure civile. L’irrecevabilité de la preuve illicite ou déloyale Acceptation de la preuve illicite ou obtenue de manière déloyale La Cour de cassation rappelle que, suivant les principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’Homme dans son arrêt du 10 octobre 2006 contre la France (4), en matière civile, un droit à la preuve permet de déclarer recevable une preuve illicite ou déloyale : lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et ; que l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi. Le revirement de jurisprudence Acceptation de la preuve illicite ou obtenue de manière déloyale Dans son arrêt du 22 décembre 2023, la Cour de cassation admet que l’application de sa jurisprudence « peut conduire à priver une partie de tout moyen de faire la preuve de ses droits ». Or, la CEDH ne retient pas, par principe, l’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales. En effet, lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d’autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence. L’admission de la preuve illicite ou déloyale Acceptation de la preuve illicite ou obtenue de manière déloyale La Cour de cassation rappelle la position de la CEDH (5) sur ce sujet : • « L’égalité des armes implique l’obligation d’offrir, dans les différends opposant des intérêts à caractère privé, à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ». • L’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales « implique notamment à la charge du juge l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre ». L’appréciation du juge Acceptation de la preuve illicite ou obtenue de manière déloyale Lorsque le droit à la preuve entre en conflit avec d’autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts présents. Dans un procès civil, le juge doit donc apprécier si une preuve obtenue ou produite de manière illicite ou déloyale porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Pour cela, il doit mettre en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence. Par conséquent, le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits, à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. Cass. Ass. plén. du 22-12-2023 n° 20-20648. CA Orléans du 28-07-2020 n° 18/00226. Cass. Ass. plén. du 07-01-2011 n° 09-14.316 et n° 09-14.667. CEDH du 10-10-2006 n° 7508/02 LL c/ France. CEDH du 01-12-2018 n° 65097/01 NN et TA c/ Belgique.   Created by potrace 1.16, written by Peter Selinger 2001-2019   Emmanuel Walle Avocat, Directeur du département Social numérique     Emmanuel Walle Avocat, Directeur du département Social numérique Avocat à la Cour d’appel de Paris, Emmanuel Walle a rejoint le cabinet Lexing Alain Bensoussan Avocats en 2008. Affirmant un positionnement novateur, le département Droit du travail numérique se définit comme une équipe d’avocats experts en droit du travail numérique spécialisée, tant en droit du travail qu’en droit de la protection sociale. Emmanuel Walle dirige une équipe ayant une expertise approfondie de l’impact et de l’évolution des technologies avancées en droit du travail (cybersurveillance, charte d’utilisation des systèmes d’informations, preuve fichier professionnel/personnel, etc.) Phone:+33 (0)6 21 56 42 08 Email:emmanuel-walle@lexing.law     Pour en apprendre davantage ChatGPT dans le monde du droit À l’aube d’une ère où l’intelligence artificielle (IA) est en passe de devenir

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Licenciement : preuve rejetée pour déclaration tardive à la Cnil

Licenciement. Dans un arrêt du 8 octobre 2014, la chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré que les informations collectées par un système de traitement automatisé de données personnelles avant sa déclaration à la Cnil, constituent un moyen de preuve illicite. Dans cette affaire, une société avait licencié un de ses salariés sur la base d’une utilisation excessive de sa messagerie électronique professionnelle à des fins personnelles, en se fondant sur des éléments de preuve obtenus grâce à un dispositif de contrôle individuel de l’importance et des flux de messagerie électronique. Décidé à contester ce licenciement, le salarié a argué du fait que le dispositif de contrôle individuel de l’importance et des flux de messagerie électronique, n’avait pas fait l’objet des formalités préalables obligatoires auprès de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) au moment de son licenciement. La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel qui avait retenu que la déclaration tardive à la Cnil de la mise en place d’un dispositif de contrôle individuel de l’importance et des flux de messagerie électronique n’a pas pour conséquence de rendre le système illicite ni davantage illicite l’utilisation des éléments obtenus, et affirme que « constituent un moyen de preuve illicite les informations collectées par un système de traitement automatisé de données personnelles avant sa déclaration à la Cnil ». De plus, la Cour de Cassation précise que l’outil doit être conforme au moment de la collecte des informations qui sont utilisées comme moyen de preuve. Il n’est donc pas possible d’effectuer une régularisation postérieurement à la collecte de celles-ci. Il résulte de cet arrêt que tout outil permettant nativement ou in fine le contrôle de l’activité des salariés ne peut pas être utilisé en tant que preuve dans le cadre d’une procédure de licenciement, sans que sa conformité à la réglementation Informatique et libertés ait été préalablement vérifiée au risque d’être rejetée. En pratique, pour être utilisé comme moyen de preuve dans le cadre d’un licenciement, deux situations peuvent se présenter : l’outil permet nativement le contrôle de l’activité des salariés (vidéosurveillance, les logiciels permettant de surveiller les connexions des salariés, etc.), il convient alors d’effectuer une déclaration préalable auprès de la Cnil et de se conformer aux autres obligations résultant de la réglementation Informatique et libertés (ex : l’information préalable des salariés), ainsi qu’aux obligations résultant du droit du travail (ex : le respect de la procédure d’information et la consultation préalable du comité d’entreprise) ; l’outil peut permettre en plus de sa finalité principale, de contrôler l’activité des salariés (un outil de gestion des flux de messagerie électronique), dans une telle situation il convient de préciser dans le cadre de la déclaration préalable du traitement auprès de la Cnil, la finalité de contrôle de l’activité des salariés, afin de ne pas se voir reprocher un détournement de la finalité du traitement, qui entraînerait en plus du rejet de la preuve dans le cadre d’une procédure de licenciement, la constitution d’un délit. De la même façon que dans la première situation, l’outil devra également se conformer aux autres obligations applicables. Dans un tel contexte, les employeurs utilisant des outils permettant nativement ou in fine le contrôle de l’activité de leurs salariés, doivent être extrêmement vigilants. A ce titre, les employeurs peuvent notamment s’assurer de la conformité de leurs outils à la loi Informatique et libertés en engageant un audit de conformité à celle-ci de leurs outils existants, ou en s’appuyant sur un cahier des spécifications Informatique et libertés pour les outils qu’ils souhaitent installer. Céline Avignon Anaïs Gimbert-Bonnal Lexing, Droit Informatique et libertés Contentieux

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